• Un été pourri ?

    On commence à se plaindre du mauvais temps en ce mois de juillet ; après un printemps exceptionnellement ensoleillé, il fallait s’attendre à la pluie. D’ailleurs elle était nécessaire, reste à souhaiter que l’été reviendra pour le mois d’août.

    Les étés pourris ont toujours existé et, certaines années, c’était un scénario catastrophe pour la moisson. Les gerbes mises en tas sur le champ, au lieu de sécher s’imbibaient d’eau, les graines germaient, c’était surtout le cas pour l’avoine, une touffe d’herbe surmontait les tas, la perte pouvait être importante.

    Rentrer les gerbes humides dans la grange et les empiler était dangereux, la fermentation pouvait même provoquer des incendies.


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  • Jean-François Delacour semblait heureux de ma décision, je lui avais pourtant précisé que je venais uniquement en repérage, je ne pouvais lui assurer un reportage sur Morigny et sur l’eau de sa fontaine, d'autant plus que pour ce genre de travail, il me fallait l'aval du patron,  je dois savoir surtout qui sont les citoyens que je risque de trouver en face de moi, il faut toujours être prudent avant de prendre plus ou moins parti.

    Je comprenais rapidement la raison qui ne m'a jamais incité à faire une excursion dans ce village, la petite route que j'emprunte après avoir quitté la nationale est dans un état lamentable, elle est truffée de nids de poule énormes, il faut faire du slalom pour les éviter. Par endroit, le bitume est soulevé, fendu, l'herbe commence à pousser au milieu, j'imagine cette piste en hiver, impraticable.

    Enfin, à travers une brume de chaleur, j'aperçois des toits, un mélange de tuiles et d’ardoises. L’entrée du village est un peu meilleure, des graviers récemment répandus crissent sous  les roues. Une porcherie se devine à l’odeur, quelques fermes, puis une place ombragée. Le bâtiment allongé qui se trouve sur cette place doit être la mairie-école, une inscription illisible orne le fronton.

    Comme indiqué par Jean-François, je tourne à gauche, la rue est étroite, aucun trottoir, je rase les maisons dont beaucoup ont des volets clos, une grosse ferme, des gamins me regardent passer puis je plonge vers une autre place, sur la droite, je ne peux rater la maison fleurie, je contourne d'énormes tilleuls et m'arrête à côté d'un abreuvoir transformé en jardinière, plusieurs personnes sont assises sur un banc, à l'ombre d'un  marronnier.

    - Laurent, tu nous as trouvés facilement?

    - Avec tes indications,  impossible de perdre la boussole.

    - Madame Louyot, ma tante.

    - Simone pour les amis.

    Je m'attendais à voir une dame âgée, la tante doit avoir dans les soixante ans, elle est vêtue d'une robe bain de soleil assez décolletée, yeux rieurs, visage coloré, bien potelée, ce doit être une bonne vivante comme disent les gens d’ici.

    - Mon épouse Adeline.

    Bien bronzée, traces du soleil  de  Côte d'Ivoire je suppose, longs cheveux noirs, origine Espagne ou Italie, regard inquisiteur, bouche pincée, pas vraiment sympathique au premier abord.

    - Et voici madame Gaston, une voisine.

    - C'était le prénom de feu mon mari, tout le monde m'appelle ainsi depuis toujours, c'est donc vous le journaliste de la Gazette, c'est vous qui signez Laurent Passy? Je vous connais bien, je lis tous vos articles, surtout quand vous parlez des procès au tribunal, c’est souvent comique, ça donne envie d’aller voir de près.

    Bavarde la brave dame,  cheveux blancs, ridée comme une vieille pomme, elle doit faire partie des buveuses d'eau.

    -Sérieusement dégradée la route !

    - J'aurais dû te dire de passer par Avigny, elle est plus longue mais nettement meilleure, tu la prendras pour le retour.

    Jean-François m'entraîne vers une petite porte, sa tante nous précède et nous fait entrer dans une véranda envahie de fleurs et de plantes grasses.

    - J'ai dit à Adeline de s'occuper de la mère Gaston, cette vieille curieuse est aux aguets et répète tout à son petit-fils... vous avez constaté l'état de délabrement de notre village? Et encore vous n'avez rien vu, d'autres quartiers sont carrément en ruines, c'est triste de voir des maisons s'écrouler, de penser aux gens qui vivaient entre ces murs à présent effondrés, quand vous voyez l'intérieur de ces pièces éventrées, les vieux papiers peints en lambeaux, les parquets, quand vous imaginez tout ce qui s'est passé dans ces  habitations durant des années, des naissances, des morts, des rires et des larmes.

    Poétesse la tante Simone, elle à raison, ces vieilles bâtisses ont connus des événements que les bâtiments modernes ne connaîtront jamais ou rarement.

    - Jean-François vous a raconté ce qui se passe chez nous, des salauds  veulent nous voler notre fontaine.

    - Oui, et également un crime.

    - Tous les mêmes les reporters, c’est pareil à la télévision, le sang les attire... un crime, c'est une supposition, une disparition mystérieuse, une femme, et pas n'importe qui, Anne Parély.

    - Pourquoi dîtes-vous, pas n'importe qui?

    - Le père d'Anne, Paul Parély avait épousé Lucie de Gaujard, la fille du château, les de Gaujard étaient les seigneurs des lieux, Madame Parély, Lucie, vit encore, son mari est décédé depuis plus de vingt ans, ils avaient deux enfants, Alexandre tué dans un accident de voiture et Anne...disparue... Le garçon s'est marié, il a eu une fille, sa veuve et la gamine habite à Reims. Anne ne s'est jamais mariée, pourtant elle avait de nombreux prétendants, jolie, intelligente et riche. Elle vivait également à Reims, dans un appartement voisin de celui de sa belle-sœur, il y a six mois, elle a disparu, sa mère ni personne ne  la plus jamais revue, les policiers de Reims ont enquêté sur cette disparition, sa voiture a été retrouvée du côté de Châlons, non loin de la Marne, ils ont conclu à un suicide, mais le corps n'a jamais été retrouvé, la rivière était en crue et ils ont supposé qu’il avait été charrié vers la mer. La maman  d’Anne est persuadée que sa fille ne s'est pas donnée la mort, je suis de son avis, Anne était une fille solide, les pieds sur terre, elle adorait sa nièce, s'entendait parfaitement avec sa belle-sœur, savait que sa maman avait encore besoin d'elle, elle n'a laissé aucune lettre et n'avait jamais connu de périodes dépressives, une battante, le suicide est impensable.

    - Et que supposez-vous?

    - Qu'elle a été assassinée, elle était devenue une entrave pour les magouilleurs, ils n'ont pas hésité...

    - C'est  une accusation grave.

    - Je sais... j'aimerais que vous rendiez visite à Lucie, elle vous apprendrait beaucoup d’autres choses.

    - Qu'en penses-tu Laurent? Tu as un peu de temps?

    J’accepte de rencontrer cette dame, par curiosité aussi... une sorte de châtelaine, et puis cette disparition mystérieuse cache peut-être une affaire importante, quoique, il faut toujours se méfier dans ces histoires de disparitions, j'ai connu des cas de personnes volatilisées qui, finalement, avaient décidées de couper les ponts avec un entourage envahissant, cette sorte de fuite est surtout pratiquée par les hommes. Quand aux suicides, combien de proches disent la même chose: solide, équilibré, bien dans sa peau, comment peuvent-ils en être aussi sûrs.


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  • La corde à sauter

    La corde à sauter peut se pratiquer individuellement ou en groupe, c’est surtout un jeu de filles mais les garçons sont parfois invités à s’y mêler, une comptine accompagne le mouvement de la corde « Entrez dans la danse, voyez comme on danse, sautez, dansez, embrassez qui vous voudrez ». Les filles ont des préférences et invitent souvent les mêmes garçons, ce qui déplait aux autres qui perturbent le jeu qui bien souvent se termine par des cris, parfois même des « tirages de cheveux et des griffures ».  


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  • - Une histoire de source, pourquoi, elle est miraculeuse ?

    - Tu ne crois si bien dire, une source que les villageois appellent fontaine Vénérable ou fontaine Sainte Lucie suivant qu'ils soient athées ou croyants, paraît que l'eau a des propriétés particulières, c'est une véritable eau de jouvence, tu en bois, tu ne vieillis plus ou presque, ce n’est pas tout à fait une légende, de tout temps, les Morignais et Morignaises vivent vieux, à l'heure actuelle, trois centenaires, deux femmes et un homme, pour une population d’environ deux cents âmes, c’est une bonne moyenne non...

    - Elle gagne à être connue cette source.

    - Justement, jusqu'alors le secret était bien gardé, seuls les villageois connaissaient les pouvoirs bénéfiques de cette eau. Un bassin avait été aménagé il y a des siècles, l'endroit est propriété de la commune et chacun pouvait remplir des récipients à volonté, malheureusement, un groupe de personnes étrangères au village a acheté un terrain et un bois situés en amont du bassin, but de l'opération, capter la fameuse source avant sa résurgence et faire du fric avec la flotte.

    - Et plus rien ne coule, adieu les centenaires à Morigny, ou alors il faudra payer pour continuer à boire l’eau magique.

    - Tu as compris, tu vois le drame.

    - J'imagine, mais comment puis-je me rendre utile dans une telle affaire? La municipalité peut intervenir, refuser des permis de construire, des permis d'exploiter.

    - C'est la où le bât blesse, le maire et la majorité du conseil sont partisans de l'installation d'une usine de mise en bouteilles, les opposants insinuent qu'ils ont été achetés.

    - Attends, je ne te suis plus, tu parles de révolution dans le bled et tu me dis qu'à travers les élus, une bonne moitié de la population  accepte l'idée de la domestication de la source.

    - C'est assez compliqué, Morigny a une particularité, je te parlais de deux cents habitants, mais en fait la commune en compte plus de quatre cents au total, tu connais  Avigny?

    - Oui, c’est un bourg proche.

    - Cette petite ville ne cesse de grandir, son territoire est assez restreint et des constructions nouvelles ont été édifiées dans la périphérie, dont plusieurs sur le territoire de Morigny, naturellement les habitants de ce nouveau quartier se moquent royalement d'une fontaine située a trois kilomètres de chez eux et puis ce ne sont pas des gens de la région, ils prennent les villageois pour des demeurés.

    Cas particulier en effet, j'ai déjà constaté les effets nocifs de ce genre de situation exceptionnelle, la partie en expansion devient majoritaire et tire la couverture de son côté, laissant le village initial partir à la dérive.

    - Je vois, mais cela ne me dit pas comment je pourrais intervenir utilement dans cet imbroglio?

    - Une autre raison, j’aurais préféré que tu  la découvres sur place, c'est compliqué à expliquer, je ne connais pas tous les éléments.

    - A mon avis, un reportage sur cette fontaine et son eau aux propriétés étonnantes ne pourrait qu'avantager les nouveaux propriétaires.

    - C'est un risque mais je suis certain que si tu viens sur place, si tu rencontres les principaux opposants au projet, tu seras convaincu et tu marcheras avec eux, d'autant plus qu'il est possible  qu'un crime ait été commis dans le contexte de cette histoire d'eau, un crime impuni.

    Jean-François a deviné mon point sensible, narrer les luttes entre manants et puissants, c'est courant et banal, si il y a mort d'homme et que le coupable n'est pas démasqué, le suspens permet de tenir les lecteurs en haleine.

    - A titre indicatif, je te signale que la victime est une femme; alors qu'en penses-tu?

    - Un ou deux articles sur le village, les villageois, les centenaires, c'est cela que tu veux pour commencer?

    - Oui, cela donnerait du courage à ceux qui refusent la mainmise de la fontaine par des requins.

    - Laisse-moi tes coordonnées, je te contacte.

    - Je suis à Morigny pour un bon mois encore, avec mon épouse, ma tante nous héberge; je vais retaper la ferme de mes grand-parents, tu verras, elle en vaut la peine.

     

    Curieusement, lors de cette discussion, des bribes de souvenir me sont revenus, une semaine dans la vie d'un gosse c’est peu de chose, je crois que le rideau qui masquait mon passage dans ce petit village s'est écarté quand Jean-François m'a parlé du chien noir, maintenant, je revois mon oncle et ma tante, je dois avoir des photos du couple au fond d'un tiroir ou dans un album. Les images que je revois se superposent, une maison, un grand mur de pierre sèches, un jardin clos avec des fleurs, beaucoup de fleurs...des odeurs d’œillet que je n’appréciais guère...j’ai toujours horreur des oeillets...un grand homme sec vêtu d’une saharienne...une petite femme avec un tablier rose faisant des tartes...excellentes d’ailleurs.

    C'est idiot, je suis passé à plusieurs reprises dans les environs de Morigny, je suis justement allé à Avigny, je ne sais plus trop pour quelle affaire, un incendie il me semble, j'aurais pu faire un crochet par ce village...le colonel et son épouse n'ont pas gardé longtemps cette résidence secondaire, il a été nommé en Nouvelle-Calédonie, quelques mois après, nous apprenions qu'il s'était tué dans un accident d'hélico, ma tante, probablement rongée par  la douleur ne tardait pas à le rejoindre. 

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  • Jeux de garçons (été 1)

    Télévision et jeux vidéo occupent à présent les jeunes, dans les années 50, on était à des années-lumière de ces divertissements, mais les garçons ne s’ennuyaient pas, en hiver, c’était les jeux de société, en été les jeux de plein air.

    En été, mise à part la cachette à laquelle les filles participaient, il y avait des variantes réservées aux garçons. Avec les « gendarmes et les voleurs », deux groupes étaient constitués, les voleurs se cachaient et les gendarmes devaient les  débusquer. Ce jeu durait des heures et se déroulait surtout en périphérie du village. Il y  avait aussi le jeu des « Indiens et des Cow-boys ». Les Indiens fabriquaient des arcs et des flèches, les Cow-boys des pistolets en bois. La construction d’un château-fort avec des rondins de bois était passionnante, l’édifice était ensuite attaqué par des pillards.

    Tous ces jeux ne se terminaient pas sans bobos, quelques bosses sur la tête, des genoux couronnés mais jamais rien de grave.  


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