• La biquette de l’Albert

     

    La Biquette de l’Albert n’avait rien à voir avec la chèvre de monsieur Seguin, elle n’était ni blanche, ni jeune, ni innocente. C’était une bique bêlante, capable de manger n’importe quoi, non seulement quand elle avait faim, mais par vice. Un jour de printemps, trouvant l’herbe de son enclos un peu fade, elle fonçait tête baissée dans la clôture et se retrouvait dans la propriété voisine. Mais l’herbe était aussi fade et elle s’apprêtait à rebrousser chemin quand elle fut attirée par un objet pendu sur un fil, un petit morceau de tissu d’une blancheur immaculée.

    -Je vais avaler ce beau tissu et je deviendrai toute blanche, se dit l’écervelée. Sitôt pensé, sitôt fait, elle agrippait l’objet entre sa langue râpeuse et son palais et hop !

     Albert arrivait juste au moment ou elle mâchait le tissu. <Qu’est-ce tu manges crevarde, et que fais-tu chez la voisine ?>. Le maître donnait une tape sur les fesses de sa chèvre et la ramenait dans son enclos, prenant soin de réparer la clôture et de la renforcer. En fin d’après-midi, des coups  sont frappés à la porte, Albert regarde par la fenêtre et reconnaît Simone sa voisine depuis peu. Veuve, la dame était revenue vivre dans la maison familiale. <Que me veut cette jolie dame ?>. A peine Albert ouvre l’huis, qu’il reçoit une gifle magistrale. <Vous l’avez bien mérité, vieux dégoutant>. Stupeur, d’autant plus qu’il n’était pas tellement vieux, à peine cinquante ans et  sa maison était toujours bien tenue depuis la mort de sa femme Albertine. <Vous n’avez pas honte, rendez-moi ma petite culotte blanche, je sais que c’est vous, vous avez réparé la clôture après votre forfait>. Albert comprenait alors que sa chèvre avait avalé le sous-vêtement, c’était donc cela qu’elle mâchouillait. Mais allez expliquer une telle histoire à une femme en colère.

    Le lendemain, en nettoyant la cabane de Biquette, Albert remarquait, dans une crotte, un petit objet brillant. <C’est peut-être un bouton ?> Il allait sonner chez Simone et l’invitait à venir reconnaitre l’objet. Calmée, la voisine acceptait. <C’est bien la perle qui ornait ma petit culotte>. Les autres crottes étaient striées de fil blanc, preuve de la bonne foi d’Albert. <Vous me la nettoyez  comme il faut et vous me la rapporterez, excusez-moi d’avoir douté>. Le veuf s’empressait de lessiver la perle, il la trempait dans un verre d’eau de Cologne et, le soir même, il allait  la rendre. <Entrez donc boire un petit verre, mon père avait du bon vin>. Albert se souvenait de la cave de son voisin, la meilleure du canton. Les soirs suivants, alors qu’une nouvelle brèche avait été faite dans la clôture, cette fois par Albert, les deux voisins se retrouvaient,  jouaient aux cartes et …dix mois plus tard, ils passaient devant monsieur le Maire.

    Le petit cortège de parents et d’amis était précédé par Biquette, cornes dressées et barbichette au vent. 


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  • Le mai du bonheur

     

    Dans ce petit village, une tradition perdurait. Durant la nuit du 30 avril au 1er mai, les jeunes hommes plantaient des « mais » sur le toit des maisons où résidait une fille. Il s’agissait de branches prélevées sur les arbres de la proche forêt, de préférence des rameaux de charme. Quelque fois c’était une branche de sapin, mais c’était déshonorant et le père de la fille s’empressait de l’enlever dès le petit matin, l’absence de mai était moins humiliant.

    La tradition voulait que le lendemain, les jeunes soient reçus dans chaque foyer « décoré », pour un café, un verre de cidre ou de vin. Cette année-là, la bande de joyeux lurons avaient, comme d’habitude emprunté quelques échelles laissées volontairement à disposition. « N’abimez pas mes chanlattes surtout, pas comme l’année passée », recommandait  Gaston, le père de Lucie.

    « Si on mettait un mai à Marion ? »

    Drôle d’idée, Marion Leroux venait de dépasser la trentaine, un âge qui n’est plus celui d’une jeune fille.

    « Elle a coiffé Ste Catherine depuis longtemps, pourtant elle est jolie ! »

    Pour s’amuser, l’idée avait été retenue et la bande avait choisi une branche de charme bien touffue.

    Le lendemain, après la tournée habituelle, les garçons s’étaient retrouvés dans la ruelle, face à la maison des Leroux, ils voulaient voir la réaction du père.

    « Il est sorti  acheter son pain, c’est quand  il va revenir qu’il va voir le mai, il va faire une attaque »

    Monsieur Leroux était revenu, il n’avait même pas levé les yeux en l’air, déception de nos gaillards.

     

    « Alors qu’attendez-vous les gars, Marion a préparé du café et j’ai acheté des croissants ! »

    Une courte hésitation puis la bande entrait chez les Leroux.

    Marion les attendait dans la cuisine, elle était rayonnante.

    « Merci les garçons, vous ne pouvez savoir comme votre attention me fait plaisir, je profite de votre présence, je vous invite tous à mon mariage, fin septembre… »

     

     


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  • FablesMarcel était commis de culture chez les Varlet depuis belle lurette, il avait commencé tout jeune, du temps où Léon, le père de Jean Varlet tenait encore les manches de la charrue. Un sacré gaillard ce Marcel, toujours le mot pour rire, d’ailleurs il était le premier à rire de ses bêtises. Il aimait bien boire un petit coup mais il aimait surtout que les autres lui payent à boire, un radin comme lui, seul le père Auguste pouvait rivaliser sur le terrain de l’avarice <L’Auguste, il n’y a que la fumée qui sort de chez lui, et encore, avant qu’elle ne s’échappe, il fume ses jambons et ses saucisses>

    Marcel gardait son argent dans sa chambre, bien caché dans une boîte à biscuits, une boîte en fer décorée d’une Alsacienne en costume traditionnel. D’ailleurs, chaque fois qu’il glissait des pièces ou un billet dans son coffre-fort, il ne manquait pas d’embrasser la belle. Avant de procéder à cette opération, il s’enfermait à double tour, des fois que des yeux indiscrets le surprennent. Seulement, c’était sans compter sur la curiosité et la malice de Louisette, la petite bonne embauchée par madame Varlet depuis quelques semaines. La rusée avait bien vite remarqué qu’en se couchant sur le plancher du grenier et en glissant un œil à travers les interstices, elle pouvait voir aller et venir le Marcel dans sa chambre. Ce n’était pas vraiment pour voir un homme se déshabiller, d’ailleurs le commis gardait toujours son caleçon long pour dormir.

    A la fin de la quinzaine, alors que Marcel venait de toucher son salaire, Louisette aperçut le manège. La gourgandine, profitant de l’absence du commis, s’infiltra dans la chambre, sortit la boîte en fer et préleva cent sous. Elle voulait tester l’attention de Marcel, se disant que s’il ne remarquait pas ce prélèvement, elle pourrait faire une ponction plus importante.

     

    -On m’a volé mes cent sous, on m’a volé mes cent sous !

    Des hurlements de cochon qu’on égorge retentissaient dans la grange, dans les écuries, montaient jusqu’au grenier où madame Varlet et Louisette pendaient du linge, l’écho descendaient à la cave où le vieux Léon surveillait la fermentation de ses tonneaux de goutte.

    -T’en fait un ramdam pour cent sous !

    Marcel montrait la boîte vide.

    -C’est tout ce qui me restait.

    Avant de le prouver, Marcel avait pris soin d’enlever le reste et c’était beaucoup.

    -Ils reviendront tes cent sous, ils sont partis faire un tour, prendre l’air, tu ne vas pas faire une maladie pour une si petite somme.

    Profitant d’une nouvelle absence du commis, Louisette pénétrait dans l’antre de Marcel, elle raflait le magot, en prenant soin de laisser cent sous.

    Marcel n’osait se plaindre cette fois, il rongeait son frein, se demandant qui lui avait joué un aussi mauvais tour, il soupçonnait même son patron.

     


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  • La charrue magique

     

    Louis Vignot venait de dépasser les soixante printemps mais il travaillait encore, ce n’est pas sa petite ferme qui lui avait permis de mettre de l’argent de côté, ses terrains éparpillés dans le finage n’étaient pas les meilleurs, loin de là, feu son père ne lui avait pas légué un riche héritage.

    -Tu vas te faire mourir au travail, lui disait sa brave femme Lucienne, loue-moi ces terres.

    -Qui en voudrait, je ne vais pas en tirer un quintal à l’hectare et vendre les terres de mon père pour une bouchée de pain, ça me ferait mal au cœur, encore une année et j’arrête, c’est promis.

    Le plus difficile pour Louis, c’était le labourage, sur ses terrains en pente aux sols caillouteux. C’était difficile aussi pour ses deux braves chevaux, eux aussi commençaient à se faire vieux.

     

    La saison des labours arrivait, Louis préparait sa charrue, suivant les conseils de Marcel, son voisin, il avait acheté un nouveau fer pour le soc.

    -Maintenant on trouve des fers qui résistent bien dans les cailloux.

    Louis débutait toujours par le champ situé au Pas des Genêts, le plus ardu et le plus grand, il en avait au moins pour trois jours.

    Pas de chance, une méchante averse survenait dans la matinée du premier jour, il dételait ses chevaux et rentrait au bercail, trempé jusqu’aux os.

    -C’est passager, demain la terre sera ressuyée.

    Marcel le rassurait.

    Le lendemain, au réveil, Louis avait mal partout.

    -Comme si j’avais pris des coups de bâton.

    -Ne vas pas labourer dans cet état, laisse passer la journée.

    C’était plus sage en effet, même si le soleil était effectivement revenu.

     

    -Elle est bonne celle-là…

    Après une journée de repos, le laboureur venait d’arriver au Pas des Genêts, sa charrue était au bout du sillon comme il l’avait laissée mais le champ était complètement labouré.

    Louis soulevait sa casquette et fourrageait sa tignasse.

    -Un qui s’est trompé de champ peut-être, et c’était un bisoc, du beau travail en tout cas.

    Le paysan voulait en avoir le cœur net, il apercevait au autre laboureur de l’autre côté du chemin.

    -Ca doit être le fils du Raymond, il doit savoir.

    -Ne cherchez pas, vot’charrue est magique, elle a travaillé toute seule, je l’ai vue hier.

    Sébastien riait aux éclats, la main sur le manche de son bisoc tout neuf.

    -Comment te remercier gamin, ton père va t’eng…

    -Mon père ? Je suis majeur, je fais ce que je veux, et puis j’étais pressé de tester mon nouvel outil, un plaisir, vous voulez essayer.

    Louis faisait un tour.

    -C’est de la belle mécanique, mais c’est certainement ma dernière année.

    -Si vous voulez je vous fais le champ Le Bœuf, il est dur aussi et vous me labourez le Poirier-Jean il est plus facile et plus petit.

    Marché conclu, pour sa dernière année, Louis n’avait point trop souffert du labourage.

    Cette histoire était restée secrète, c’est dans ses derniers jours que Louis l’a racontée à ses proches.


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  • ContesBonjour amis lectrices et lecteurs, je vous propose, en plus de mes souvenirs, la lecture de quelques contes que j’ai écrits en m’inspirant de la vie rurale d’antan, j’espère qu’ils vous plairont, voici le premier, j’aimerais avoir votre avis, merci.

     

    Le Hibou frappeur

     

    Guillaume se dressait sur son lit comme un ressort.

    -T’as entendu, on a frappé aux volets !  Fernande se retournait et grognait,

    -Voilà qu’tu fais des cauchemars maintenant ».

    Quand sa femme dormait, Guillaume évitait pourtant de la réveiller car elle était de mauvaise humeur. Il tendait l’oreille, plus rien, ce devait être dans son rêve.

    Le lendemain matin, Guillaume interrogeait sa fille.

    -T’as rien entendu, sur le coup de dix heures ? 

    Huguette était comme sa mère, le matin, il était préférable de ne pas la bousculer.  

    - La nuit, moi je dors.

    La nuit suivante, à nouveau des coups répétés.

    -C’est chez la gamine.

    Cette fois Fernande avait entendu.

    -Oui, t’as raison, regarde-voir ».

    La fenêtre de la chambre d’Huguette donnait sur le côté, pas facile de voir.

    -Allez dors mon Guillaume, demain une grande journée nous attend.

    Un jour important chez les paysans, ils tuaient le cochon.

    L’esprit frappeur ne s’était plus manifesté pendant trois nuits et voilà que ça recommence.

    Guillaume questionnait sa fille.

    -Cette fois ne me dis pas que tu n’a rien entendu »

    Huguette souriait béatement et s’étirait comme une chatte. « Comme sa mère au début de leur mariage, quand les nuits étaient animées », pensait Guillaume « Faudra qu’on pense à la marier ».

    La nuit suivante, à nouveau des bruits, Guillaume se levait prestement et frappait à la chambre de sa fille.

    -Tu as entendu cette fois » ?, questionnait le père à travers la porte.

    -Oui, j’ai regardé, c’est un hibou, avec des gros yeux, il m’a fait peur ! »

    Le calme était revenu à la ferme, le hibou frappeur avait probablement changé de quartier.

    Un soir, en revenant de chez les Feuillette où il avait tiré un veau, Guillaume aperçoit une forme noire collée au mur de la grange. Courageux, il fonce sur cette ombre qui s’échappe en agitant sa pèlerine et en hululant.

    J’ai vu ton hibou hier soir ma fille, est-ce qu’il sort aussi le jour ce nocturne, dis-lui qu’il vienne me voir, j’aimerais lui causer.

    Huguette sautait au coup de son père.

    -Il doit venir avec des gants blancs » ?

    - Il n’a jamais pris de gants pour venir dans ton lit je suppose.

    Le jour du mariage, Fernande clamait partout que sa fille avait réellement droit à sa robe blanche.

    -Pas comme certaines.

    Guillaume riait sous cape, il savait qu’un hibou avait trouvé sa fille chouette.


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