•  

    Je parle de l’affaire Pierret avec mon collègue photographe Benoît.

    -Tu devrais confier le message à Robert, il est expert en graphologie, il pourrait te donner des indications sur l’auteur.

    Robert est un ancien collège en retraite, effectivement il est passionné de graphologie, la police fait appel à lui de temps en temps.

    Je téléphone à la mairie de Champbourg, c’est le jour de permanence du maire.

    -Le billet est à votre disposition chez moi, venez quand vous voulez, depuis notre rencontre, j’ai mis mon épouse au courant, si je suis absent, elle vous le remettra.

     

    Madame Pierret me reçoit aimablement, elle est inquiète.

    -Faut-il prendre cette menace au sérieux ?

    -J’ai conseillé à votre mari de prévenir la gendarmerie, il est réticent.

    -Les gendarmes ont d’autres préoccupations, nous en avons eu la preuve, il ya deux mois, nous avons été victimes d’un cambriolage et ils ont rapidement classé l’affaire.

    -Ce cambriolage était important ?

    -Non, mais désagréable, les cambrioleurs cherchaient de l’argent liquide je suppose, curieusement, ils n’ont emporté qu’un petit tableau, ils pensaient peut-être qu’il avait de la valeur, c’était une vue du village peinte par ma belle-mère il y a plusieurs années.

    -Madame Pierret peint ?

    -Plus maintenant, il y a bien longtemps qu’elle a rangé son chevalet dans un placard.

     

    Je passe à la brigade de Montlieu, non pour évoquer le cambriolage chez les Pierret, c’est du passé, mais pour parler de l’actualité, quelques vols ont été commis dans le canton.

    -Le dernier en date, deux gros bidons d’huile au garage Renault de Vercourt, n’importe quoi !

    Alors que je prends de l’essence à la sortie de la ville, deux véhicules des Sapeurs-pompiers passent, sirènes hurlantes, ils prennent la route de Champbourg, je les suis à distance.

    Arrivé sur le plateau, un gros nuage de fumée masque l’horizon.

    C’est un hangar bourré de paille qui flambe ou plutôt qui fume, de grosses volutes noires, rabattues par un vent d’ouest envahissent le village.

    -Il faut évacuer les habitants, c’est irrespirable en bas, nous allons laisser brûler, sinon cela risque de durer la nuit, inutile d’arroser, ce serait pire.

    -Incendie accidentel, ou… ?

    Je questionne le chef de groupe des pompiers.

    -Vous demanderez aux gendarmes, ils ne devraient pas tarder ce n’est pas mon rôle de vous renseigner.

     

    -La presse est déjà là ?

    L’adjudant Quentin est surpris de me voir sur les lieux.

    Les villageois sont mis à l’abri des retombées d’une fumée noire à l’odeur âcre, deux personnes âgées sont prises en charge par les pompiers, elles suffoquent.

    -Les bidons d’huile de Vercourt, retrouvés vides au pied du hangar, plusieurs foyers d’incendie, l’huile a certainement été répandue sur les bottes de paille, d’où cette fumée noire, un malade ce pyromane, mais un malade qui savait ce qu’il faisait, avec le vent d’aujourd’hui, la fumée ne pouvait qu’envahir Champbourg.

    Roger Pierret vient d’arriver.

    -Un acte criminel, comme la surdose de chlore dans l’eau potable, la semaine dernière…Oui, nous n’avons pas ébruité l’affaire, une bonne purge et c’était réglé, les usagers n’ont nullement souffert.

    Je prends le maire à part.

    -Et si ces actes étaient l’œuvre de votre corbeau, c’est peut-être le moment d’avertir la gendarmerie, je vous rends le billet.

    Roger hésite puis accepte.

    -Vous avez raison, cette fois mes administrés sont également menacés.

    -Une question, avez-vous entendu parler d’un résistant que votre grand-père aurait sauvé ?

    -Non, vous me l’apprenez, qui vous a raconté ça ?

    J’évoque le cambriolage dont il a été victime.

    -Mon épouse vous a mis au courant, je ne vous en ai pas parlé, insignifiant, vous pensez qu’il a un rapport avec le malfaisant ?

    -C’est peut-être ce visiteur qui a déposé le message.

    -C’est possible, je n’ai pas compris pourquoi il avait volé un tableau sans valeur, sauf pour nous, une valeur sentimentale, nous avons dit à maman que nous l’avions offert à un cousin, elle s’étonnait de ne plus le voir.

     

    Je rends une nouvelle visite à Simon Chauby, le collectionneur d’armes et ancien résistant.

    -Vous étiez facteur durant l’occupation ?

    -Remplaçant en 43, j’ai été titularisé en 46.

    -Vous aviez plusieurs communes à desservir?

    -Champbourg et Oberville, Champbourg c’était vite fait mais Oberville, avec ses maisons éparpillées, je terminais par la scierie Vernat et je poussais parfois jusqu’à la cabane de Hans, il avait rarement du courrier mais il m’invitait à manger, sa table était copieuse, il aime les animaux de la forêt mais aussi dans son assiette.

    -C’est chez lui que vous avez rencontré des membres du groupe Clément ?

    -Au début, je servais de porteur de plis entre ce groupe et d’autres personnes, j’avais une bonne couverture, mon métier.

    -Qui étaient ces personnes ?

    -C’est idiot mais après tant d’années, j’ai encore des scrupules à le dire, et puis ils sont presque tous morts.

    J’insiste un peu, le presque indique qu’il en reste.

    -Maître Margon, le notaire de Montlieu, il avait des contacts avec d’autres groupes, c’était en quelque sorte une plaque tournante, ensuite pour échapper au STO j’ai rejoint la clandestinité.

    Simon Chauby n’a jamais entendu parler qu’un résistant aurait échappé à la milice ou a la gestapo grâce à Auguste Pierret.

    -Pas un gars de chez nous, j’en suis certain, peut-être du groupe Oural.

     


    votre commentaire
  •  

    Combien de paysans !

     

    Combien de paysans courbés par la fatigue
    Marchaient dans les sillons où poussait le froment
    Abreuvés de travail comme un sol qu’on irrigue
    Ils ont notre respect c’étaient de braves gens

    Se levant au soleil au temps du labourage
    Ils soignaient bichonnaient leurs meilleurs compagnons
    Des chevaux courageux formant un équipage
    Valeureux ardennais, solides percherons

    Arpentant les terrains au moment des semailles
    Geste sûr et précis il confiait le bon grain
    A la glèbe argileuse et au sol de pierrailles
    Afin que les humains ne manquent pas de pain

    Inquiet dans les hivers de cette lune rousse
    Qui provoque des froids trop vifs et ravageurs
    Il priait tous les saints pour que la jeune pousse
    Résiste à la gelée et garde ses couleurs

    Les enfants au printemps procédaient au sarclage
    Détruisant les intrus et les maudits chardons
    Ainsi au mois de juin changeait le paysage
    Les épis murissaient pour le temps des moissons

    Les faux étaient maniées avec beaucoup d’aisance
    Quand le soleil ardent diffusait sa chaleur
    La récolte des blés était la récompense
    Des hommes dans l’effort inondés de sueur

     


    votre commentaire
  •  

    Toujours persuadé que les menaces adressées à Roger Pierret ont un rapport avec les années 43/44, je prends rendez-vous avec le curé de Préval. Le bourg de Préval est particulier, c’était le siège de plusieurs tuileries et briqueteries maintenant fermées, mais subsistent les cités ouvrières et une haute cheminée. Les gens des environs surnomme Préval, la cité rouge, non seulement pour la couleur de ses habitations et de la cheminée mais également en raison de la couleur politique de la municipalité depuis la Libération. La population est composée en majorité de descendants d’émigrés, Italiens surtout, et Polonais. Le maire actuel, Raymond Galetti, est professeur dans un lycée professionnel, contrairement à ses prédécesseurs, ce n’est pas un communiste pur et dur et, avec son équipe municipale, il met tout en œuvre pour redynamiser la commune, sur les friches des usines disparues, se sont implantées quelques entreprises, d’autres sont attendues. Le curé de la paroisse, l’abbé Gaudot est arrivé à Préval en 1942, c’était un jeune vicaire nommé en remplacement d’un vieux curé qui venait de décéder. Diplomate, il parvenait à composer avec la Municipalité. On raconte qu’en 1946, il a réussi à éviter qu’une rue du bourg porte le nom de Staline en proposant plutôt Stalingrad, son comportement patriotique durant l’occupation avait joué en sa faveur.

    Le curé a plus de soixante ans, il exerce encore son ministère avec autorité, se déplace dans une voiturette sans permis, parvenant à glisser sa longue carcasse dans l’habitacle.

    -Figurez-vous que je viens de faire un peu de vélo pour me dérouiller les jambes, mais c’est dangereux, les voitures vous frôlent à toute vitesse, des fous… Alors jeune homme, vous voulez faire des articles sur la résistance, dépêchez-vous, les survivants sont de plus en plus rares et beaucoup perdent la mémoire, qui avez-vous vu déjà ?

    Je lui parle de Simon Chauby.

    -Un peu sectaire mais c’est un brave garçon, il faisait partie d’un groupe de maquisards de tendance gaulliste, alors que ceux de Préval étaient communistes, il y avait quelques frictions entre ces deux obédiences, dommage, l’union sacrée aurait été profitable, mais bon, il y avait de fortes têtes de chaque côté…Vous restez à déjeuner, à midi pile, je dois avoir les pieds sous la table.

    Difficile de refuser et d’ailleurs l’abbé n’attend pas ma réponse, il appelle sa gouvernante.

    -Agnès, vous préparez un troisième couvert, monsieur Passy déjeune avec nous.

    -Comment se sont comportés les maires de ce canton ?

    -Celui de Préval a été déporté début 44, il n’est pas revenu de l’enfer, celui de Montcy, entre nous, sous une apparente soumission à Vichy a rendu bien des services à la résistance.

    -Et celui de Champbourg ?

    -Pourquoi cette question ? Pour l’avoir rencontré plusieurs fois à cette époque trouble, je pense qu’il avait la fibre patriotique et qu’il souffrait de voir la France sous le joug nazi mais que pouvait-il faire, il était âgé, c’est mon confrère d’Oberville qui avait la charge de Champbourg, une paroisse rurale très pratiquante à cette époque, c’est du passé.

    -Qu’avez-vous pensé de sa mort brutale ?

    -Une crise cardiaque, c’est évident, il était énorme, je le voyais lors d’obsèques dans le secteur.

    -Et l’accident de son fils Charles ?

    -Il aurait pu mourir dix fois avant sa chute fatale, il conduisait dans des états ! Cet accident n’a surpris personne…Revenons à Auguste, il y a une vingtaine d’années, je suis appelé au chevet d’une mourante, la dame me donne une enveloppe contenant un billet de banque, me demandant de dire des messes en sa mémoire, je suis étonné, elle ajoute dans un souffle, il a sauvé mon fils…

    Le vieux curé se lève, la table est dressée dans la salle à manger.

    -C’est vendredi, vous aimez le poisson ?

     

    Une truite meunière parfaitement cuisiné, je félicite la cuisinière.

    -Un avantage d’être curé, je mange du poisson fraîchement pêché, du gibier fraîchement tué, des œufs du jour, de la crème fraîche, l’abstinence oui, mais seulement au temps du carême…

    C’est au dessert que nous revenons à ma préoccupation.

    -Au sujet de la mourante, je savais que son fils avait fait partie du groupe Oural puis qu’il avait rejoint un autre groupe mieux structuré.

    -Que sont devenus les autres membres du groupe Oural ?

    -Beaucoup ont été fusillés ou déportés, peu sont revenus, le dernier Prévalais est mort le mois dernier, je sais que Gino Baldo de Montlieu est encore en vie, mais il paraît qu’il perd la tête, le brave homme.


    votre commentaire
  • Les betteraves (3)

    La récolte des betteraves se fait en automne et, avant les années 50, l’arrachage est manuel. Quand le terrain est sec ce n’est pas évident et parfois les tiges restent dans la main de l’homme ou la betterave casse. Alignées sur le champ, les betteraves sont étêtées avec une sorte de machette puis ramassées et jetées dans la caisse d’un tombereau.

    Pour le stockage, deux solutions, soit dans la grange soit en silo extérieur. A l’extérieur, le silo doit être recouvert de paille et de terre pour protéger les betteraves des gelées.

    Durant l’hiver, pour les bovins, la betterave remplace l’herbe des parcs. Mais elle n’est pas servie entière, elle est coupée en tranches fines dans un coupe-racines, un outil actionné par une manivelle, le préposé s’offre une belle séance de musculation. Pour faciliter la digestion, les copeaux de betterave sont mélangés à la menue paille, déchet du battage.

    Les chevaux aussi ont droit à quelques betteraves mais leur dentition leur permet de les grignoter, elles sont servies entières. C’est aussi un dessert pour les lapins. 


    votre commentaire
  •  

    Un tour aux archives du journal me permet de retrouver les articles concernant les décès d’Auguste et de Charles Pierret. Quelques lignes pour Auguste, sa mort était consécutive à un malaise cardiaque et il a chuté sur le soc d’une charrue, c’est la conclusion du médecin. Charles avait eu droit à une demi-page, l’accident ne faisait aucun doute, le maire était tombé du grenier à foin, en revenant des festivités de la Fête nationale de son village, le banquet s’était prolongé et il était fatigué, comme l’écrit pudiquement mon collègue, mais tout le monde savait qu’il avait ingurgité de nombreux verres de vin lors de cette soirée festive. D’ailleurs sa présence sur le grenier à foin à minuit passé était anormale, c’est un ouvrier agricole qui l’a découvert allongé sur le sol, ce commis logeait dans une pièce attenante à l’étable et il avait entendu un bruit insolite.

     

    Sur les conseils de Paul Baldo, je me rends à Oberville, un village d’une certaine importance situé à environ trois kilomètres de Champbourg. Trois hameaux composent cette commune nichée dans une vallée et entourée de forêts, les maisons sont disséminées à flanc de coteau, la mairie, l’église et quelques commerces constituent le noyau central. Je traverse le centre et descends vers l’un des ponts, passe à côté d’un ancien moulin et d’une scierie en activité et monte dans la forêt par une petite route en lacets. Je vais voir Hans, un ancien charbonnier, voilà un gaillard qui a certainement beaucoup de choses à me raconter, pendant l’occupation, il recevait souvent la visite des maquisards, servant de boite à lettres,  de ravitailleur et surtout d’indicateur. Autrichien d’origine, il paraît que les Allemands avaient une certaine confiance en lui et qu’il en profitait pour leur extorquer quelques renseignements.

    -Tiens mon ami Laurent, encore un vol à la scierie, j’parie ?

    A deux reprises, des vols avaient été commis à la scierie Vernat, j’étais venu sur les lieux, j’en avais profité pour monter jusque chez Hans Schaeffer, il avait encore une réserve de charbon de bois, d’une qualité irréprochable pour le barbecue.

    -Non, pas de vol cette fois, c’est toi que je viens voir.

    L’homme est impressionnant, barbe broussailleuse et chevelure rousse, c’est un colosse à la voix de stentor.

    Sa cabane construite de ses mains est à son image, faite de rondins de sapin, elle a l’allure d’une forteresse médiévale.

    Hans est un solitaire, bon client du café du Moulin tenu par Fernande, il aime la forêt et les animaux, nourrit les chevreuils et les sangliers lors d’hivers rigoureux et neigeux.

    -Tu veux du charbon, j’en ai plus un gramme, les gens de la ville viennent m’en acheter, c’est autre chose que celui qu’ils trouvent dans les commerces ?

    -Tu en auras encore, plus tard ?

    -J’fais une fournée par an, pour me maintenir en forme, tu sais que je viens de fêter mes soixante-dix-neuf ans, je dois me ménager.

    -L’air de la forêt est bénéfique, tu vas faire un centenaire.

    -Je n’ai qu’un regret, c’est de ne pas avoir d’enfant.

    -Tu en es sûr, il me semble avoir aperçu quelques rouquins et rouquines  dans les rues d’Oberville.

    Hans éclate de rire, un rire qui résonne dans sa cabane.

    -Du charbon de bois, tu devais en vendre beaucoup durant l’occupation ?

    -Les camions marchaient au gazo, les Vernat étaient de bons clients, la fromagerie de Montlieu aussi, et puis les docteurs et les vétérinaires de toute la région.

    -Et le maire de Champbourg ?

    -L’Auguste ? Naturlich, souvent il m’apportait une bouteille de gniole, on en buvait ensemble.

    -Comment s’est-il comporté quand les Allemands étaient là ?

    -Au début, il était pour Pétain, il avait été sous ses ordres à Verdun, tu comprends, puis il a changé d’avis, le traitant de vieux con, il était venu la veille de Noël 43, et j’avais picolé un peu trop, comme un con je lui ai dit que je ravitaillais les maquisards qui se cachaient dans la forêt, deux jours après, il m’apportait de la volaille et des œufs, pour tes bonnes œuvres qu’il m’a dit.

    Hans m’invite à entrer dans son chalet, je suis étonné par la propreté.

    -Tu as une femme de ménage ? 

    -Elle vient tous les soirs, c’est une femme à barbe… J’aime pas le bordel.

    -Alors pour toi, Auguste Pierret n’a pas été victime d’une vengeance.

    -C’est le cœur qui a lâché.

    -Et Simon Chauby, tu le connais ?

    -Et comment, il était facteur pendant la guerre et pour ne pas partir travailler chez les nazis, il s’est engagé dans le groupe Clément, des gaullistes.

    -Le groupe Oural, c’était plutôt des communistes.

    -Ils étaient plus loin, dans les bois de Loncourt et de Préval, je n’avais pas de contact avec eux, t’as vu la scierie Vernat, ils ont construit un grand hangar en tôle, leur affaire marche bien, ils vendent même en Belgique, du chêne pour faire des cuisines, ils ont fait des affaires avec les Allemands pendant la guerre, ils les ont roulés, remarque, ils ont bien fait.  

    Je m’attendais à ce que mon interlocuteur change de conversation, remuer de vieux souvenirs ça ne va qu’un temps.

    -Tu viens me voir quand tu veux, j’aime bien les visites, le charbon pas avant l’année prochaine.


    votre commentaire