• Ce blog vient d’atteindre les 10 000 visites depuis sa création le 2 janvier 2011. Un chiffre relativement important pour ce genre de blog et je vous remercie, lectrices et lecteurs de votre fidélité. Je pensais qu’au fil du temps, l’intérêt allait régresser mais le chiffre de visites quotidiennes se maintient. Un seul petit regret, le peu de commentaires, j’aurais aimé lire votre opinion sur les sujets diffusés, en particulier concernant les romans.


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  • Je venais à peine de terminer un papier que Séverine la standardiste m’appelle.

    -Laurent, je viens d’avoir un appel, la personne, un homme, hurlait en te demandant, mais avant que je bascule la communication, j’ai entendu un cri, comme un bruit de chute et plus rien.

    -Tu as noté le numéro ?

    -Il est en mémoire.

    -D’après les chiffres, il vient de Préval, Champbourg ou Oberville, toi qui a une bonne oreille, sa voix ?

    -Une voix forte avec un accent il me semble.

    -Un accent italien ?

    -Non plutôt alsacien, ou allemand.

    Je feuillette fébrilement l’annuaire d’Oberville, c’est bien le numéro de mon ami Hans, après le crime de la barrière, je crains le pire, c’est aussi un ancien de la résistance.

    J’avertis la gendarmerie de Montlieu.

    -Nous allons sur place immédiatement.

    -Je viens aussi mais il me faut vingt bonnes minutes.

    A l’entrée d’Oberville, je croise une ambulance, gyrophare allumé, un fourgon de la gendarmerie est stationné devant la cabane.

    -Nous l’avons trouvé inconscient, il vient de partir vers l’hôpital, un malaise probablement, nous avons eu peur de découvrir la même scène que chez les Chauby, le téléphone était décroché, sa porte ouverte, je vous attendais monsieur Passy.

    L’adjudant Quentin est aimable aujourd’hui.

    -Son chien hurlait à la mort, Vincent Vernat, l’un des patrons de la scierie est venu le chercher.

    -Il avait un chien, c’est récent.

    -Possible, à part ça, vous avez eu des nouvelles de la police à la Gazette?

    -Non, pourquoi ?

    -Ils vont certainement vous prévenir, ils ont l’autorisation de faire une perquisition dans la maison des Mazard, à Champbourg, plusieurs voisins ont aperçu une lumière dans la bicoque, dont la nuit où les cloches se sont mises à sonner.

    -Quand est prévue cette visite ?

    -Mardi matin, nous allons travailler en collaboration.

    Je prends des nouvelles de Hans, il a repris conscience, je passe à l’hôpital lui rendre visite.

    -Vous êtes un parent ?

    L’infirmière accepte de me conduire vers la chambre du charbonnier.

    -Malgré son âge, c’est un solide, il sera vite sur pied.

    -Laurent, t’es vraiment un ami, le docteur m’a raconté, merci, sans toi je serais mort.

    -Que t’est-il arrivé, raconte ?

    -Un fantôme que j’ai vu, incroyable, on a frappé à la porte, j’ai regardé par la fenêtre, c’était le père Mazard, il était sur l’escalier, j’ai eu la frousse, j’ai pas bougé, il est redescendu et il est parti, c’est pour ça que je t’ai appelé, après je ne me souviens plus, j’étais dans le brouillard, je me suis réveillé dans ce plumard, entre ces murs blancs.

    -Tu délires mon ami, le père Mazard, il aurait presque cent ans.

    -Un cauchemar alors… un cauchemar.

    -Tu avais bu un coup de schnaps de trop.

    Je plaisante, mais ce récit renforce ma conviction, l’un des deux fils Mazard a survécu à la déportation, soit Marcel qui devrait avoir dans les soixante ans, soit Gabriel qui aurait cinquante-huit ans, l’un ou l’autre peut ressembler à son père, d’où la confusion de l’Autrichien.

    -Ferme ta porte à clé maintenant, tu me fais signe dès que tu es chez toi.

     


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    Les semailles

    C’est l’automne, le temps des semailles, l’orge d’hiver, le blé et l’avoine doivent être mis en terre. La préparation du terrain est importante, un labour suivi de plusieurs hersages sont nécessaires. Dans les années 50, le semis ne s’effectue plus à la main mais à l’aide d’un semoir mécanique. Les grains sortent par un tube, l’ouverture est réglable. Le plus délicat, c’est de bien diriger les chevaux afin que les rangs soient réguliers et droits, il n’y a rien de plus désagréable que de voir, lors de la levée, des rangées non rectilignes. Après le semis, il faut passer le rouleau pour tasser la terre. Rapidement, suivant le temps, les premières pousses vont apparaître, la future moisson de juillet prochain se dessine. Il faut espérer que les gelées d’hiver ne viennent pas anéantir la culture.  

     


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  • Je passe à la ferme Pierret,  l’épouse de Roger me reçoit ;

    -Nous sommes anxieux, l’individu qui menace mon mari est passé aux actes, quelle sera sa prochaine vilaine action ?

    J’évoque le vol du tableau, je suis convaincu que le cambrioleur et le corbeau ne font qu’un.

    -C’est fort possible mais pourquoi aurait-il volé cette peinture naïve ?

    -Vous m’aviez dit que ce tableau représentait une vue du village ?

    -Oui, ma belle-mère montait à flanc du coteau qui domine Champbourg, sur un petit promontoire, juste derrière la ferme, elle installait son matériel à cet endroit et peignait soit le village, soit la campagne, venez je vous montre ses œuvres.

    Trois petits tableaux sont accrochés au mur de la salle à manger, ce ne sont pas des œuvres d’art mais ils sont assez représentatifs.

    -Le disparu ? Vous m’avez dit que c’est une vue du village, vous m’avez parlé de l’église et de la mairie.

    -Oui, le centre de Champbourg vu du promontoire.

    -Vous pourriez m’indiquer l’endroit ?

    -Je vous guide, cela me fera un peu d’exercice.

    Un sentier monte vers une sorte de plate-forme, des pierres témoignent d’une ancienne construction.

    -C’est dans cet angle que ma belle-mère avait peint ce tableau,  le clocher, une partie de la place, le préau de l’école, le toit de la mairie et quelques maisons, c’est exactement ça, à part le hangar en tôle qui n’existait pas.

    -Qui masque quelques habitations ?

    -Oui, quelques-unes en effet.

    J’arrive à me repérer et mon idée se concrétise, derrière la laideur de ce hangar doit se trouver la maison des Mazard.

    Roger Pierret arrive alors que je quittais son épouse, il semble en colère.

    -Encore un acte de sabotage de ce fantôme, il a cisaillé la clôture de l’un de nos enclos, six génisses et quatre veaux ont disparu.

     

    Quelques jours d’accalmie apaisaient  les esprits mais cela n’allait pas durer.

    -Laurent, un crime à Montlieu, à l’ancien passage à niveau, un dénommé Chauby.

    Je préviens Benoît afin qu’il me rejoigne sur place, quel Chauby, Simon ou Pierrot ?

    Je suis vite informé, en descendant de voiture, j’aperçois Pierrot devant la maisonnette, il est effondré.

    -Monsieur Passy…le frangin…

    De nombreux badauds sont refoulés de l’autre côté de la route par les gendarmes.

    - Cette fois c’est du sérieux, Simon Chauby, le cou tranché par l’une de ses armes blanches, la police se charge de l’enquête, nous avons été mandés pour effectuer le service d’ordre.

    L’adjudant Quentin est visiblement mécontent, toujours cette rivalité entre la gendarmerie et la police.

    -Quel commissaire ?

    -C’est l’inspecteur Mansuy, vous le connaissez.

    Olivier Mansuy est l’un de mes bons contacts à la PJ, je vais attendre sa sortie pour en savoir plus.

    Le corps de Simon évacué, les voyeurs commencent à refluer vers la ville. Je suis fébrile, j’espère que l’auteur  n’est pas celui qui sévit dans les parages, jusqu’à présent, il ne commettait que des grosses farces.

    -Pas beau à voir, le pauvre homme s’est pourtant défendu, il a les mains tailladées, il avait de quoi se faire trucider, de la cave au grenier, tu connaissais sa collection, Laurent?

    J’explique à Olivier que je la connais depuis peu.

    -Tu as cinq minutes à me consacrer ? J’ai peut-être des tuyaux.

    -Viens dans ma voiture, je sais déjà ce que tu vas me raconter, je lis ta rubrique figure-toi.

    Je résume, en commençant par la menace reçue par Roger Pierret, des ennuis que vient de connaître Champbourg, de la famille Mazard.

    -Alors tu penses qu’une sorte de Zorro écume la campagne, allume un feu, empoisonne l’eau, sonne les cloches et lâche les vaches, et puis, dans son élan, tranche la gorge d’un brave homme !

    -Il a peut-être supprimé deux hommes, les anciens maires de Champbourg.

    -Oui, en effet, mais quelle constance et il prend son temps entre ses crimes, 45, ensuite 78, maintenant 88…Bon, à tout à l’heure, j’attends le procureur, rendez-vous à la mairie de Montlieu, informations à la presse d’ici une bonne heure.

    Nous n’apprenons rien de plus de la bouche du procureur, Simon Chauby s’est effectivement défendu, l’assassin lui avait déjà porté un cou de sabre dans la cuisine, des traces se sang le prouvent, puis il l’a achevé dans le cellier où Pierrot a découvert le corps vers midi et demi.

    -L’heure du crime, environ neuf heures du matin.

     


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    La pâture,

    En approche de l’automne, l’herbe se fait rare dans les parcs, surtout quand la sécheresse a sévit durant l’été, par contre, dans les prairies elle a repoussé. Les dernières semaines de septembre, avant la rentrée des classes le 1er octobre, les jeunes conduisent les vaches laitières en pâture. Les prairies n’ont pas de clôture et il faut surveiller le troupeau afin qu’il reste si possible sur les terrains du cultivateur. Ce n’est pas facile et bien souvent les troupeaux se mélangent, d’autant plus que les jeunes gardiens ont d’autres occupations. Dans les matins brumeux et frais, ils allument un feu de bois et font cuire des pommes de terre dans la cendre. Vers midi, retour dans les parcs, mais avant il faut faire le tri et c’est souvent compliqué.


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  • Je passe à la brigade de Montlieu, pas curiosité, j’aimerais connaître le résultat de l’analyse graphologique de Robert.

    -Vous avez bien fait de conseiller monsieur Pierret de nous mettre au courant de cette lettre anonyme, nous exerçons une surveillance discrète dans le secteur de Champbourg, un individu rôde dans les parages, après l’eau et le feu, que va-t-il inventer pour faire peur aux villageois ?

    -Faire peur, il y avait des risques d’asphyxie tout de même.

    -La nuit ça aurait été plus grave en effet, étant donné sa façon de procéder, je suppose qu’il n’est pas trop dangereux.

    -Que vous apprend le papier ?

    -Votre ancien collègue est fortiche, je vous lis son rapport…Le papier, une feuille de cahier d’écolier, datant des années de guerre, un papier de mauvaise qualité, ensuite une belle écriture à la plume, des pleins et des déliés, avec de l’encre provenant certainement du réservoir d’un stylo, le message a été écrit il y trois mois environ.

    -Concernant le cambriolage, vous avez des indices.

    L’adjudant Quentin a un mouvement d’humeur.

    -Les Pierret vous ont parlé de ce cambriolage, seul un tableau a été volé, il est bien possible en effet que ce soit le visiteur qui a déposé la menace, les dates concordent.

    -En parlant de vol, vous en avez eu d’autres dans le secteur?

    -Non.. Ah si, un bûcheron qui voulait porter plainte pour le vol de son vélo et de sa remorque, comme il est souvent bourré, possible qu’il ait oublié son attelage devant un café.

    -Et si cet attelage comme vous dites, avait servi à transporter des bidons d’huile ?

    -Vous avez raison, c’est une piste.

     

    Je retourne voir mon ami Hans, Margot et Bouboule travaillaient à la scierie, il devait les connaitre.

    -Une histoire qui me retourne quand on en parle, naturlich, je connaissais toute la famille Mazard, la petite Margot, elle était bonne chez Henri Vernat, une belle gamine, travailleuse, Bouboule, il surveillait la chaudière des séchoirs, le père venait chaque fin de mois chercher la paie de ses enfants et il montait jusqu’ici pour boire un coup de schnaps, dès fois avec son dernier.

    -Gabriel ?

    -Oui, une tête ce gamin, il aurait fait polytechnique, une grande école, quand j’avais un four en route, il venait avec moi dans la clairière, il me parlait de la combustion lente, de l’oxygène, il reconnaissait tous les arbres, et toujours bien poli.

    Le colosse se tait, il fixe la cloison, ces souvenirs sont douloureux pour lui.

     

    Je suis plongé dans cette étrange aventure, la famille Mazard m’intéresse, je suis persuadé que la menace reçue par Roger Pierret a un rapport avec la tragédie, le vengeur pourrait être un parent. Je comprends que le notaire et Auguste Pierret n’ont pas dévoilé la vérité, ils se sentaient coupables.

     

    Un nouvel événement insolite à Champbourg, en pleine nuit, les cloches de l’église se sont mises à sonner le glas, la sonnerie a duré le temps d’aller chercher la clé chez une vieille dame, je fais un tour au village pour glaner quelques renseignements, le mieux est de voir monsieur Langlois.

    L’ancien instituteur est absent, une ardoise accrochée à la grille indique qu’il est dans son verger, derrière l’église, l’écriture me rappelle… surtout les majuscules, la même forme que sur le billet. M’étonnerait que ce brave homme joue les vengeurs…alors, l’un de ses anciens élèves, un copain de classe de Gabriel ou de Marcel ?

    -Quel boucan, en pleine nuit, et madame Vignon qui dormait comme une bienheureuse, il a fallu tambouriner à la porte pendant un bon quart d’heure, tout le village était debout, sauf elle. On se demande comment le sonneur a réussi à pénétrer dans l’église, la porte de la sacristie est condamnée.   

    -Que pensez-vous de ces incidents, qui en voudraient aux gens du village ?

    -Je vous vois venir, vous pensez qu’ils ont un lien avec le drame de 44, quelle est la responsabilité des habitants, que pouvaient-ils faire à cette époque, chaque famille souffrait de l’occupation, plus ou moins, un mari ou un fils prisonnier, les difficultés quotidiennes.

    -Et si un membre de la famille avait survécu, s’il était responsable des morts brutales d’Auguste et Charles Pierret.

    -Une idée qui me trotte dans la tête aussi, Marcel ou Gabriel ? Ce serait terrible, non c’est impensable.

     


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    Le cidre,

    Les pommes et les poires arrivent à maturité, c’est le moment de les récolter. Après la cueillette des plus beaux fruits afin de faire des tartes et de les conserver au cellier, les arbres sont secoués pour faire tomber le reste. Les fruits sont chargés dans un tombereau, direction le pressoir. Il y a souvent plusieurs pressoirs dans un village mais il faut prendre rendez-vous avec le propriétaire. Le cidre frais est apprécié, surtout par les enfants qui viennent en boire à la sortie du pressoir, seulement un abus peut provoquer quelques ennuis digestifs. Une partie du cidre est conservé en bouteille, il sera bu d’ici la prochaine récolte.


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    Plus de café à Champbourg, le dernier a fermé il y a trois ans, son enseigne est encore en place mais elle pend lamentablement, c’était pratique pour avoir des renseignements. Je tourne deux fois sur la petite place, Roger Pierret m’a décrit la maison des Mazard, très délabrée et située en face de la mairie, je n’en vois qu’une.

    Je descends, j’avise un vieux monsieur appuyé sur sa canne.

    -C’est bien la maison de la famille Mazard ?

    -C’était, elle va bientôt s’effondrer.

    La toiture est gondolée, les volets en bois ouverts sont en piteux état, les vitres cassées, la courette est envahie de ronces et d’orties,

    -Plus personne, à part des fantômes.

    -Des fantômes ?

    -Oui, j’ai déjà vu des lumières danser la nuit, des revenants j’vous dis.

    Un autre Champbourgeois s’approche.

    -On visite Champbourg monsieur Passy ?

    Je reconnais l’homme, c’est un ancien instituteur, il a travaillé pour la Gazette Républicaine durant plusieurs années comme correspondant local.

    -Vous regardez cette ruine, c’est un mémoire perpétuelle, une sorte d’épine dans le cœur des habitants, vous êtes au courant ?

    -Oui j’ai appris ce qui s’est passé ici, vous étiez déjà à Champbourg à cette époque?

    -Oui, je suis venu ici en 43, mon premier et unique poste, le père Mazard était tâcheron, un touche-à-tout, il travaillait souvent dans les fermes mais il était capable de faire des travaux de maçonnerie et de menuiserie, la mère était discrète, elle faisait des ménages, à l’école, à la mairie et chez les Pierret.

    -Et les enfants ?

    -L’aîné était un brave garçon, un peu, comment vous dire, demeuré.

    -Bouboule ?

    -Oui, vous êtes au courant, les boches l’ont abattu dans la forêt, les sauvages, pour un simple geste, il travaillait comme veilleur de nuit à la scierie Vernat d’Oberville, ensuite les soldats sont revenus ici et ont embarqué toute la famille Mazard.

    Je comprends que c’est la version véhiculée dans le village, Auguste Pierret n’a jamais dévoilé la vérité, mais je suppose que les résistants qu’il a prévenus, enfin ceux qui ont survécu la connaissent aussi, tout comme le notaire et son clerc, les secrets sont bien gardés dans les campagnes.

    -Les trois autres enfants ?

    -Margot, la jeune fille avait à peine 18 ans, elle était domestique, également chez les Vernat comme Bouboule, Marcel avait 17 ans, apprenti charpentier dans une entreprise du secteur, agile et malin comme un singe.

    -Le plus jeune ?

    -Il était mon élève, il terminait sa scolarité et je le préparais pour le certificat d’études en étant pratiquement certain qu’il serait premier du canton, un garçon d’une grande intelligence, il apprenait ses leçons en une seule lecture, j’aurais bien aimé qu’il continue ses études, nous aurions trouvé l’argent nécessaire pour payer les frais de pension, le Maire était partant.

    Monsieur Langlois soupire.

    -Vous n’avez jamais su ce qu’était devenue la famille ?

    -Ils sont morts dans un camp nazi sans aucun doute, comme beaucoup d’autres.

    -Et que pensez-vous de chlore dans l’eau potable et de l’incendie du hangar ?

    -Le chlore ? Une fausse manœuvre des responsables, quant à l’incendie, c’est vrai qu’il est suspect, nous avons failli être asphyxiés, mon épouse surtout, elle a déjà des problèmes de respiration.

    -Le chalet des Barrettes est toujours débout ?

    -A ma connaissance oui, vous voulez faire un tour dans les bois, le chemin n’est pas terrible, les chasseurs ont des 4/4 maintenant, mais comme il fait sec, deux petits kilomètres, vous ne pourrez pas le visiter, il est fermé à clé, les jeunes allaient faire y faire des conneries.

    -Qui a la clé ?

    -Les chasseurs de Montlieu, le président c’est le fils du notaire, Didier Margon.

    -Je n’ai pas l’intention d’y pénétrer, juste le voir.

    L’ancien instituteur m’indique la direction.

    Les premiers hectomètres sont tout à fait praticables mais en bordure du bois, le chemin est dégradé, je préfère continuer à pied.

    Je me demande si je suis sur la bonne route, il me semble avoir parcouru au moins un kilomètre et toujours pas de chalet, et puis je regrette de ne pas avoir pris la voiture car, à part un passage un peu délicat, le chemin n’est pas si mauvais.

    Ouf ! Je distingue enfin la construction au fond d’une clairière où sont installés des bancs et une balançoire pour enfants.

    Le chalet en rondins ressemble à la cabane de Hans, il a certainement reçu une couche de vernis récemment, il brille au soleil.

    Dire que c’est dans cet endroit tranquille que le drame de la famille Mazard a débuté, Bouboule mitraillé…

    Je fais le tour de la construction, la porte arrière s’ouvre directement dans la forêt, c’est par là que les maquisards se sont échappés. En examinant la façade avant, je distingue nettement des impacts de balle.

    Je reste quelques minutes immobile avant de redescendre, curieusement, j’ai l’impression que le retour est moins long.

     


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    Le dimanche,

    Dans les années 50, le dimanche était un jour de repos, les agriculteurs ne faisaient aucun travaux des champs sauf en période de fenaison ou de moisson, lors d’années pluvieuses, et encore, il allait à la messe le matin. Naturellement, ils devaient tout de même s’occuper des vaches, les traire, les monder et les nourrir, également nettoyer l’écurie et donner à manger aux chevaux. Les paroissiens allaient à l’église à pied, en sortant de la messe, ils passaient par le cimetière, dire une prière sur les tombes des parents disparus. Puis, pendant que les femmes rentraient à la maison pour préparer le repas de midi, les hommes se rendaient au café afin de boire l’apéro mais aussi pour discuter. C’était un brouhaha indescriptible dans une ambiance enfumée, la politique était l’un des sujets de discussion, mais aussi le temps et les travaux agricoles. Parfois les garçons accompagnaient les pères, ils buvaient un diabolo menthe ou grenadine.


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    Maître Margon avait accepté de me rencontrer, maire et conseiller depuis des lustres, il a transmis la charge de notaire à son fils Didier mais on dit dans le canton qu’il a toujours un œil sur les activités de l’étude, et heureusement.

    -Je vois que vous vous intéressez à notre région à la Gazette, j’ai entendu dire que vous enquêtez sur des faits qui se sont déroulés durant l’occupation.

    Les services de renseignements du notaire fonctionnent bien.

    -Vous avez un peu de temps jeune homme, j’ai beaucoup de choses à vous raconter sur cette période.

    Le notaire se cale dans son fauteuil.

    -Passons sur la drôle de guerre, j’étais capitaine de réserve, pris au piège avec mes hommes  dans un fort de la ligne Maginot et envoyé dans un stalag en Allemagne. Mon père, un ancien de la Grande Guerre, choqué par la tournure des événements décède, je suis libéré et reprend l’étude. Heureusement, nous avons un clerc au courant de toutes les affaires, Jean Martin, grâce à lui, je peux poursuivre l’œuvre de mon père.

    Maître Margon reprend son souffle et poursuit :

    -Dès mon retour à Montlieu, le Conseil Municipal me demande de reprendre la charge de maire assurée par l’adjoint, j’hésite, je crains d’être confronté à des problèmes majeurs après l’armistice, pour avoir côtoyé des militaires Allemands, je sais qu’Hitler a l’ambition de soumettre l’Europe à sa botte, et puis j’accepte, pensant que je pourrai me rendre utile à ma commune, à mon pays…Vous voulez un rafraîchissement ?

    J’accepte un jus d’orange qu’il sort d’un mi-réfrigérateur.

    -Je suis aussi à la diète, conseil de mon toubib, il a certainement raison, nous allons trinquer…Nous ne sommes pas trop envahis par l’occupant, je me débrouille pour ne pas suivre à la lettre des instructions de Vichy, en novembre 1943, je reçois une visite inattendue, celle d’un ancien compagnon de captivité, le capitaine Grégoire, il s’est évadé et il chargé de coordonner les actions de la résistance dans notre département, il me parle d’un groupe qui se terre dans le secteur d’Oberville, le groupe Clément, et me demande si je peux servir de relais pour le courrier, les communications par radio étant trop dangereuses.

    Un coup de téléphone interrompt mon interlocuteur, il demande à ne pas être dérangé.

    -Il y a des bavards au téléphone… J’accepte cette mission, je suis toujours officier de réserve, mes contacts sont Simon Chauby, le facteur d’Oberville, un gendarme de la brigade de Montlieu et un garde-forestier, j’ai également des contacts avec des passeurs et des personnes qui cachent les juifs traqués.

    -Et Auguste Pierret, j’ai appris qu’il avait sauvé une vie ?

    -Vous feriez un excellent détective, d’où tenez-vous cette information, pauvre Auguste, il n’a pas eu le temps de savourer la victoire, vous croyez qu’on peut encore évoquer des faits aussi anciens ?

    -Je vous en prie.

    -Vous y tenez.

    Maître Margon vide son verre et continue.

    -Nous sommes en fin d’après-midi, le jeudi 6 avril 1944, depuis le début de l’année, la résistance est active dans notre secteur, je vous passe les détails, ce jour-là donc, j’entends des bruits de moteur dans la rue et deux officiers de la gestapo accompagnés de deux miliciens font irruption dans mon bureau, vous imaginez mon état, persuadé qu’ils sont au courant de mes agissements et qu’ils viennent m’arrêter. Je suis soulagé quand l’un des miliciens déploie une carte sur mon bureau et me demande de leur situer un lieu-dit sur le finage de Champbourg, c’est bien le notaire qui est sollicité mais je tressaille quand ils me parlent des Barrettes, à cet endroit, en bordure de forêt, se trouve un ancien chalet de chasse et je sais qu’il sert de refuge aux résistants éventuellement de lieu de réunion.

    -Des maquisards du groupe Clément ?

    -Non, c’est un autre groupe qui gravite dans ce secteur, à l’opposé d’Oberville, je rechigne, j’hésite, mais ces messieurs se fâchent. Prétextant un besoin pressant, je vais dans les toilettes et griffonne sur un morceau de journal… le papier hygiénique était inexistant… « Pierret, Champbourg, Barrettes», en sortant, je fais un petit signe à mon clerc.

    -Et ils vous obligent à les guider sur place ?

    -Exactement, en jetant un coup d’œil par la fenêtre, je constate qu’ils ont des renforts, deux autos-mitrailleuses et une moto, pour gagner du temps, je demande à prendre une petite laine, un voyage en décapotable ce n’est pas encore la saison, j’espère que monsieur Martin parviendra à joindre Auguste Pierret par téléphone.

    -Qui aura le temps d’avertir les maquisards.

    -En envoyant un émissaire, c’est ce que j’espère mais, en arrivant aux abords du chalet, un homme en sort, il est copieusement mitraillé et s’écroule. Les Allemands tirent encore des rafales contre le chalet puis l’encerclent mais apparemment il n’y a plus personne, ils fouillent la forêt voisine avec leurs chiens, en vain. Je vis un véritable cauchemar, un officier me demande d’identifier l’homme abattu, je crois le reconnaître, mais je ne dis rien, je crains de subir le même sort, puis finalement je suis véhiculé jusqu’à Montlieu et libéré devant l’étude.

    -Votre clerc avait réussi à joindre le maire de Champbourg.

    -En effet, il avait compris mon signe, avait entendu quelques mots, la chance que le téléphone fonctionnait car en effet, la gestapo était bien renseignée, je l’ai su plus tard, une réunion se tenait dans le chalet, ils étaient une quinzaine.

    -Et l’homme abattu était l’émissaire ?

    -Exact, mais le pire est survenu le soir même, Auguste Pierret avait envoyé un jeune homme du village, un fils Mazard, il me semblait bien que c’était la victime, un garçon peu simplet surnommé Bouboule, il aurait dû quitter les lieux aussitôt sa mission remplie mais il s’est attardé dans le chalet, allez savoir pourquoi, après une identification, toute sa famille a été emmenée pour une destination inconnue, les parents et trois jeunes de 14 à 18 ans.

    Maître Margon se tasse sur son fauteuil, son front perle de sueur, ses yeux s’embuent.

    -Aucun n’est revenu, je me suis senti coupable, je me sens encore coupable, six morts innocents.

    -Mais les résistants ont été sauvés !

    -N’empêche, d’ailleurs Auguste Pierret avait les mêmes remords que moi.

     

    Tout en roulant je ressasse cette douloureuse histoire, et si les Pierret étaient réellement victimes d’une vengeance, estimant qu’Auguste est responsable de ce drame, seulement aucun membre de la famille Mazard n’a survécu, un parent, un ami peut-être?

    Je contacte Roger Pierret, il est surpris de la version concernant la tragédie qui s’est déroulée en avril 1944 à Champbourg.

    -J’ignorais que mon grand-père était mêlé de près à ce drame, j’ai toujours entendu dire que Bouboule avait nargué les Allemands, qu’il leur avait fait un bras d’honneur alors qu’ils passaient sur la route du bois, ce que vous me racontez avive mes craintes, voilà un motif de vengeance!


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    Les noix

    Les noyers sont nombreux dans la campagne et ils sont souvent proches des habitations. Les noix sont des fruits jalousement surveillés par les propriétaires et, dès qu’elles commencent à tomber, ils viennent les ramasser, si possible avant que les maraudeurs se servent, car les gamins du village connaissent l’emplacement de chaque noyer. Ils ont le champ libre pour les arbres situés en dehors du village mais la concurrence est vive et il faut être le premier sur place après un fort coup de vent, également avant les écureuils et autres rongeurs. Quand les noix sont fraîches le brou tache les mains, et seule l’eau de javel peut faire disparaitre les taches.

     


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    Je parle de l’affaire Pierret avec mon collègue photographe Benoît.

    -Tu devrais confier le message à Robert, il est expert en graphologie, il pourrait te donner des indications sur l’auteur.

    Robert est un ancien collège en retraite, effectivement il est passionné de graphologie, la police fait appel à lui de temps en temps.

    Je téléphone à la mairie de Champbourg, c’est le jour de permanence du maire.

    -Le billet est à votre disposition chez moi, venez quand vous voulez, depuis notre rencontre, j’ai mis mon épouse au courant, si je suis absent, elle vous le remettra.

     

    Madame Pierret me reçoit aimablement, elle est inquiète.

    -Faut-il prendre cette menace au sérieux ?

    -J’ai conseillé à votre mari de prévenir la gendarmerie, il est réticent.

    -Les gendarmes ont d’autres préoccupations, nous en avons eu la preuve, il ya deux mois, nous avons été victimes d’un cambriolage et ils ont rapidement classé l’affaire.

    -Ce cambriolage était important ?

    -Non, mais désagréable, les cambrioleurs cherchaient de l’argent liquide je suppose, curieusement, ils n’ont emporté qu’un petit tableau, ils pensaient peut-être qu’il avait de la valeur, c’était une vue du village peinte par ma belle-mère il y a plusieurs années.

    -Madame Pierret peint ?

    -Plus maintenant, il y a bien longtemps qu’elle a rangé son chevalet dans un placard.

     

    Je passe à la brigade de Montlieu, non pour évoquer le cambriolage chez les Pierret, c’est du passé, mais pour parler de l’actualité, quelques vols ont été commis dans le canton.

    -Le dernier en date, deux gros bidons d’huile au garage Renault de Vercourt, n’importe quoi !

    Alors que je prends de l’essence à la sortie de la ville, deux véhicules des Sapeurs-pompiers passent, sirènes hurlantes, ils prennent la route de Champbourg, je les suis à distance.

    Arrivé sur le plateau, un gros nuage de fumée masque l’horizon.

    C’est un hangar bourré de paille qui flambe ou plutôt qui fume, de grosses volutes noires, rabattues par un vent d’ouest envahissent le village.

    -Il faut évacuer les habitants, c’est irrespirable en bas, nous allons laisser brûler, sinon cela risque de durer la nuit, inutile d’arroser, ce serait pire.

    -Incendie accidentel, ou… ?

    Je questionne le chef de groupe des pompiers.

    -Vous demanderez aux gendarmes, ils ne devraient pas tarder ce n’est pas mon rôle de vous renseigner.

     

    -La presse est déjà là ?

    L’adjudant Quentin est surpris de me voir sur les lieux.

    Les villageois sont mis à l’abri des retombées d’une fumée noire à l’odeur âcre, deux personnes âgées sont prises en charge par les pompiers, elles suffoquent.

    -Les bidons d’huile de Vercourt, retrouvés vides au pied du hangar, plusieurs foyers d’incendie, l’huile a certainement été répandue sur les bottes de paille, d’où cette fumée noire, un malade ce pyromane, mais un malade qui savait ce qu’il faisait, avec le vent d’aujourd’hui, la fumée ne pouvait qu’envahir Champbourg.

    Roger Pierret vient d’arriver.

    -Un acte criminel, comme la surdose de chlore dans l’eau potable, la semaine dernière…Oui, nous n’avons pas ébruité l’affaire, une bonne purge et c’était réglé, les usagers n’ont nullement souffert.

    Je prends le maire à part.

    -Et si ces actes étaient l’œuvre de votre corbeau, c’est peut-être le moment d’avertir la gendarmerie, je vous rends le billet.

    Roger hésite puis accepte.

    -Vous avez raison, cette fois mes administrés sont également menacés.

    -Une question, avez-vous entendu parler d’un résistant que votre grand-père aurait sauvé ?

    -Non, vous me l’apprenez, qui vous a raconté ça ?

    J’évoque le cambriolage dont il a été victime.

    -Mon épouse vous a mis au courant, je ne vous en ai pas parlé, insignifiant, vous pensez qu’il a un rapport avec le malfaisant ?

    -C’est peut-être ce visiteur qui a déposé le message.

    -C’est possible, je n’ai pas compris pourquoi il avait volé un tableau sans valeur, sauf pour nous, une valeur sentimentale, nous avons dit à maman que nous l’avions offert à un cousin, elle s’étonnait de ne plus le voir.

     

    Je rends une nouvelle visite à Simon Chauby, le collectionneur d’armes et ancien résistant.

    -Vous étiez facteur durant l’occupation ?

    -Remplaçant en 43, j’ai été titularisé en 46.

    -Vous aviez plusieurs communes à desservir?

    -Champbourg et Oberville, Champbourg c’était vite fait mais Oberville, avec ses maisons éparpillées, je terminais par la scierie Vernat et je poussais parfois jusqu’à la cabane de Hans, il avait rarement du courrier mais il m’invitait à manger, sa table était copieuse, il aime les animaux de la forêt mais aussi dans son assiette.

    -C’est chez lui que vous avez rencontré des membres du groupe Clément ?

    -Au début, je servais de porteur de plis entre ce groupe et d’autres personnes, j’avais une bonne couverture, mon métier.

    -Qui étaient ces personnes ?

    -C’est idiot mais après tant d’années, j’ai encore des scrupules à le dire, et puis ils sont presque tous morts.

    J’insiste un peu, le presque indique qu’il en reste.

    -Maître Margon, le notaire de Montlieu, il avait des contacts avec d’autres groupes, c’était en quelque sorte une plaque tournante, ensuite pour échapper au STO j’ai rejoint la clandestinité.

    Simon Chauby n’a jamais entendu parler qu’un résistant aurait échappé à la milice ou a la gestapo grâce à Auguste Pierret.

    -Pas un gars de chez nous, j’en suis certain, peut-être du groupe Oural.

     


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    Combien de paysans !

     

    Combien de paysans courbés par la fatigue
    Marchaient dans les sillons où poussait le froment
    Abreuvés de travail comme un sol qu’on irrigue
    Ils ont notre respect c’étaient de braves gens

    Se levant au soleil au temps du labourage
    Ils soignaient bichonnaient leurs meilleurs compagnons
    Des chevaux courageux formant un équipage
    Valeureux ardennais, solides percherons

    Arpentant les terrains au moment des semailles
    Geste sûr et précis il confiait le bon grain
    A la glèbe argileuse et au sol de pierrailles
    Afin que les humains ne manquent pas de pain

    Inquiet dans les hivers de cette lune rousse
    Qui provoque des froids trop vifs et ravageurs
    Il priait tous les saints pour que la jeune pousse
    Résiste à la gelée et garde ses couleurs

    Les enfants au printemps procédaient au sarclage
    Détruisant les intrus et les maudits chardons
    Ainsi au mois de juin changeait le paysage
    Les épis murissaient pour le temps des moissons

    Les faux étaient maniées avec beaucoup d’aisance
    Quand le soleil ardent diffusait sa chaleur
    La récolte des blés était la récompense
    Des hommes dans l’effort inondés de sueur

     


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    Toujours persuadé que les menaces adressées à Roger Pierret ont un rapport avec les années 43/44, je prends rendez-vous avec le curé de Préval. Le bourg de Préval est particulier, c’était le siège de plusieurs tuileries et briqueteries maintenant fermées, mais subsistent les cités ouvrières et une haute cheminée. Les gens des environs surnomme Préval, la cité rouge, non seulement pour la couleur de ses habitations et de la cheminée mais également en raison de la couleur politique de la municipalité depuis la Libération. La population est composée en majorité de descendants d’émigrés, Italiens surtout, et Polonais. Le maire actuel, Raymond Galetti, est professeur dans un lycée professionnel, contrairement à ses prédécesseurs, ce n’est pas un communiste pur et dur et, avec son équipe municipale, il met tout en œuvre pour redynamiser la commune, sur les friches des usines disparues, se sont implantées quelques entreprises, d’autres sont attendues. Le curé de la paroisse, l’abbé Gaudot est arrivé à Préval en 1942, c’était un jeune vicaire nommé en remplacement d’un vieux curé qui venait de décéder. Diplomate, il parvenait à composer avec la Municipalité. On raconte qu’en 1946, il a réussi à éviter qu’une rue du bourg porte le nom de Staline en proposant plutôt Stalingrad, son comportement patriotique durant l’occupation avait joué en sa faveur.

    Le curé a plus de soixante ans, il exerce encore son ministère avec autorité, se déplace dans une voiturette sans permis, parvenant à glisser sa longue carcasse dans l’habitacle.

    -Figurez-vous que je viens de faire un peu de vélo pour me dérouiller les jambes, mais c’est dangereux, les voitures vous frôlent à toute vitesse, des fous… Alors jeune homme, vous voulez faire des articles sur la résistance, dépêchez-vous, les survivants sont de plus en plus rares et beaucoup perdent la mémoire, qui avez-vous vu déjà ?

    Je lui parle de Simon Chauby.

    -Un peu sectaire mais c’est un brave garçon, il faisait partie d’un groupe de maquisards de tendance gaulliste, alors que ceux de Préval étaient communistes, il y avait quelques frictions entre ces deux obédiences, dommage, l’union sacrée aurait été profitable, mais bon, il y avait de fortes têtes de chaque côté…Vous restez à déjeuner, à midi pile, je dois avoir les pieds sous la table.

    Difficile de refuser et d’ailleurs l’abbé n’attend pas ma réponse, il appelle sa gouvernante.

    -Agnès, vous préparez un troisième couvert, monsieur Passy déjeune avec nous.

    -Comment se sont comportés les maires de ce canton ?

    -Celui de Préval a été déporté début 44, il n’est pas revenu de l’enfer, celui de Montcy, entre nous, sous une apparente soumission à Vichy a rendu bien des services à la résistance.

    -Et celui de Champbourg ?

    -Pourquoi cette question ? Pour l’avoir rencontré plusieurs fois à cette époque trouble, je pense qu’il avait la fibre patriotique et qu’il souffrait de voir la France sous le joug nazi mais que pouvait-il faire, il était âgé, c’est mon confrère d’Oberville qui avait la charge de Champbourg, une paroisse rurale très pratiquante à cette époque, c’est du passé.

    -Qu’avez-vous pensé de sa mort brutale ?

    -Une crise cardiaque, c’est évident, il était énorme, je le voyais lors d’obsèques dans le secteur.

    -Et l’accident de son fils Charles ?

    -Il aurait pu mourir dix fois avant sa chute fatale, il conduisait dans des états ! Cet accident n’a surpris personne…Revenons à Auguste, il y a une vingtaine d’années, je suis appelé au chevet d’une mourante, la dame me donne une enveloppe contenant un billet de banque, me demandant de dire des messes en sa mémoire, je suis étonné, elle ajoute dans un souffle, il a sauvé mon fils…

    Le vieux curé se lève, la table est dressée dans la salle à manger.

    -C’est vendredi, vous aimez le poisson ?

     

    Une truite meunière parfaitement cuisiné, je félicite la cuisinière.

    -Un avantage d’être curé, je mange du poisson fraîchement pêché, du gibier fraîchement tué, des œufs du jour, de la crème fraîche, l’abstinence oui, mais seulement au temps du carême…

    C’est au dessert que nous revenons à ma préoccupation.

    -Au sujet de la mourante, je savais que son fils avait fait partie du groupe Oural puis qu’il avait rejoint un autre groupe mieux structuré.

    -Que sont devenus les autres membres du groupe Oural ?

    -Beaucoup ont été fusillés ou déportés, peu sont revenus, le dernier Prévalais est mort le mois dernier, je sais que Gino Baldo de Montlieu est encore en vie, mais il paraît qu’il perd la tête, le brave homme.


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  • Les betteraves (3)

    La récolte des betteraves se fait en automne et, avant les années 50, l’arrachage est manuel. Quand le terrain est sec ce n’est pas évident et parfois les tiges restent dans la main de l’homme ou la betterave casse. Alignées sur le champ, les betteraves sont étêtées avec une sorte de machette puis ramassées et jetées dans la caisse d’un tombereau.

    Pour le stockage, deux solutions, soit dans la grange soit en silo extérieur. A l’extérieur, le silo doit être recouvert de paille et de terre pour protéger les betteraves des gelées.

    Durant l’hiver, pour les bovins, la betterave remplace l’herbe des parcs. Mais elle n’est pas servie entière, elle est coupée en tranches fines dans un coupe-racines, un outil actionné par une manivelle, le préposé s’offre une belle séance de musculation. Pour faciliter la digestion, les copeaux de betterave sont mélangés à la menue paille, déchet du battage.

    Les chevaux aussi ont droit à quelques betteraves mais leur dentition leur permet de les grignoter, elles sont servies entières. C’est aussi un dessert pour les lapins. 


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    Un tour aux archives du journal me permet de retrouver les articles concernant les décès d’Auguste et de Charles Pierret. Quelques lignes pour Auguste, sa mort était consécutive à un malaise cardiaque et il a chuté sur le soc d’une charrue, c’est la conclusion du médecin. Charles avait eu droit à une demi-page, l’accident ne faisait aucun doute, le maire était tombé du grenier à foin, en revenant des festivités de la Fête nationale de son village, le banquet s’était prolongé et il était fatigué, comme l’écrit pudiquement mon collègue, mais tout le monde savait qu’il avait ingurgité de nombreux verres de vin lors de cette soirée festive. D’ailleurs sa présence sur le grenier à foin à minuit passé était anormale, c’est un ouvrier agricole qui l’a découvert allongé sur le sol, ce commis logeait dans une pièce attenante à l’étable et il avait entendu un bruit insolite.

     

    Sur les conseils de Paul Baldo, je me rends à Oberville, un village d’une certaine importance situé à environ trois kilomètres de Champbourg. Trois hameaux composent cette commune nichée dans une vallée et entourée de forêts, les maisons sont disséminées à flanc de coteau, la mairie, l’église et quelques commerces constituent le noyau central. Je traverse le centre et descends vers l’un des ponts, passe à côté d’un ancien moulin et d’une scierie en activité et monte dans la forêt par une petite route en lacets. Je vais voir Hans, un ancien charbonnier, voilà un gaillard qui a certainement beaucoup de choses à me raconter, pendant l’occupation, il recevait souvent la visite des maquisards, servant de boite à lettres,  de ravitailleur et surtout d’indicateur. Autrichien d’origine, il paraît que les Allemands avaient une certaine confiance en lui et qu’il en profitait pour leur extorquer quelques renseignements.

    -Tiens mon ami Laurent, encore un vol à la scierie, j’parie ?

    A deux reprises, des vols avaient été commis à la scierie Vernat, j’étais venu sur les lieux, j’en avais profité pour monter jusque chez Hans Schaeffer, il avait encore une réserve de charbon de bois, d’une qualité irréprochable pour le barbecue.

    -Non, pas de vol cette fois, c’est toi que je viens voir.

    L’homme est impressionnant, barbe broussailleuse et chevelure rousse, c’est un colosse à la voix de stentor.

    Sa cabane construite de ses mains est à son image, faite de rondins de sapin, elle a l’allure d’une forteresse médiévale.

    Hans est un solitaire, bon client du café du Moulin tenu par Fernande, il aime la forêt et les animaux, nourrit les chevreuils et les sangliers lors d’hivers rigoureux et neigeux.

    -Tu veux du charbon, j’en ai plus un gramme, les gens de la ville viennent m’en acheter, c’est autre chose que celui qu’ils trouvent dans les commerces ?

    -Tu en auras encore, plus tard ?

    -J’fais une fournée par an, pour me maintenir en forme, tu sais que je viens de fêter mes soixante-dix-neuf ans, je dois me ménager.

    -L’air de la forêt est bénéfique, tu vas faire un centenaire.

    -Je n’ai qu’un regret, c’est de ne pas avoir d’enfant.

    -Tu en es sûr, il me semble avoir aperçu quelques rouquins et rouquines  dans les rues d’Oberville.

    Hans éclate de rire, un rire qui résonne dans sa cabane.

    -Du charbon de bois, tu devais en vendre beaucoup durant l’occupation ?

    -Les camions marchaient au gazo, les Vernat étaient de bons clients, la fromagerie de Montlieu aussi, et puis les docteurs et les vétérinaires de toute la région.

    -Et le maire de Champbourg ?

    -L’Auguste ? Naturlich, souvent il m’apportait une bouteille de gniole, on en buvait ensemble.

    -Comment s’est-il comporté quand les Allemands étaient là ?

    -Au début, il était pour Pétain, il avait été sous ses ordres à Verdun, tu comprends, puis il a changé d’avis, le traitant de vieux con, il était venu la veille de Noël 43, et j’avais picolé un peu trop, comme un con je lui ai dit que je ravitaillais les maquisards qui se cachaient dans la forêt, deux jours après, il m’apportait de la volaille et des œufs, pour tes bonnes œuvres qu’il m’a dit.

    Hans m’invite à entrer dans son chalet, je suis étonné par la propreté.

    -Tu as une femme de ménage ? 

    -Elle vient tous les soirs, c’est une femme à barbe… J’aime pas le bordel.

    -Alors pour toi, Auguste Pierret n’a pas été victime d’une vengeance.

    -C’est le cœur qui a lâché.

    -Et Simon Chauby, tu le connais ?

    -Et comment, il était facteur pendant la guerre et pour ne pas partir travailler chez les nazis, il s’est engagé dans le groupe Clément, des gaullistes.

    -Le groupe Oural, c’était plutôt des communistes.

    -Ils étaient plus loin, dans les bois de Loncourt et de Préval, je n’avais pas de contact avec eux, t’as vu la scierie Vernat, ils ont construit un grand hangar en tôle, leur affaire marche bien, ils vendent même en Belgique, du chêne pour faire des cuisines, ils ont fait des affaires avec les Allemands pendant la guerre, ils les ont roulés, remarque, ils ont bien fait.  

    Je m’attendais à ce que mon interlocuteur change de conversation, remuer de vieux souvenirs ça ne va qu’un temps.

    -Tu viens me voir quand tu veux, j’aime bien les visites, le charbon pas avant l’année prochaine.


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    Les betteraves (2)

    Après le passage de la houe entre les rangs de betteraves, un travail manuel commence, il est nécessaire de démarier les plants, n’en laisser qu’un à une distance qui permette au rescapé de se développer sans gêne. Le démariage s’opère avec une binette à manche court, c’est aussi l’occasion d’éliminer les mauvaises herbes. Une opération pénible en raison de la position courbée et de l’avancement sur le côté. Quand le bineur arrive au bout du rayon, il prend le temps de se reposer un peu. A la fin de la journée, il a les reins en « compote ». Quelques agriculteurs importants font appel à des spécialistes, des « betteraviers » qui viennent souvent de la région du Nord où ils pratiquent le démariage des betteraves à sucre.

    Quelques semaines après un premier passage, un second binage est utile pour supprimer les mauvaises herbes.


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    Je sors de Champbourg alors que les premières gouttes de pluie barbouillent mon pare-brise, l’orage menaçait, l’horizon est zébré d’éclairs. Je reste prudent sur cette longue ligne droite de la route départementale, le verglas d’été est dangereux, d’autant plus que la chaussée est bosselée. Depuis mon arrivée dans la région, on a dénombré une vingtaine d’accidents sur cette route, dont plusieurs mortels. Les poiriers qui forment presque une haie d’un côté portent des marques de tragiques rencontres.

    Je réfléchis à la demande du maire de Champbourg, faire un retour sur le passé n’est pas pour me déplaire, seulement si sa vie est réellement en jeu…

    Je connais mal Roger Pierret, par contre j’ai eu l’occasion de rencontrer son épouse, nous avons le même dentiste et nous avions sympathisé en poireautant dans la salle d’attente. C’est une citadine, elle ne s’occupe pas de la ferme mais elle sert de public-relations à son mari dans ses fonctions politiques. C’est elle qui l’avait incité à se présenter aux élections cantonales face à l’indéboulonnable  notaire et maire de Montlieu, maître Margon. Le résultat avait été serré, madame Pierret était déçue mais elle espérait que la fois prochaine, il serait inversé. Le couple a deux fils, Guy qui travaille à la ferme, marié, deux enfants, et Alain étudiant en architecture à Paris. Alain est un passionné de moto, quand il est en vacances, il sillonne le département sur sa puissante machine à vitesse excessive ce qui lui a déjà valu quelques ennuis avec la maréchaussée.

    Avant de rentrer chez moi, je fais un crochet par le camping  des Saules, la semaine dernière, deux campeurs Hollandais ont été interpellés, ils détenaient de la drogue et fournissaient quelques accros du secteur. Paul Baldo, gérant de ce camping est un ami.

    -Merci pour ton papier Laurent, cette vilaine histoire pouvait nous porter préjudice.

    J’avais écrit que la direction et le personnel du camping étaient particulièrement attentifs à toutes dérives, que ce soit au niveau de l’alcool ou de la drogue.

    -Nous ne sommes pas des gendarmes mais nous veillons à la tranquillité de la majorité de nos clients.

    Ma visite est aussi motivée par le fait que le père de Paul était résistant, une rencontre avec ce brave homme pourrait peut-être m’apporter quelques renseignements utiles.

    -Tu tombes mal, pas question de parler de cette époque avec lui, comme beaucoup d’Italiens d’origine opposés au fascisme, il avait rejoint un groupe de résistants communistes, le groupe Oural, tu en as entendu parler je suppose.

    -Oui, mais je crois qu’il a été sérieusement étrillé, des militants fusillés et d’autres déportés, peu sont revenus.

    -Exact et mon père avait des scrupules à être encore vivant à libération, c’est dingue mais c’est ainsi, et puis il a continué à militer chez les rouges, mais quand il a appris ce qui se passait derrière le rideau de fer, il a déchiré sa carte du parti, viré le portrait de Lénine qui trônait dans son bureau, tu vois, lui parler de la résistance le met dans un triste état.

    Je n’insiste pas, je comprends.

    -Si tu veux des tuyaux sur la résistance, va voir le curé de Préval, c’est une mémoire vivante, tu peux dire que tu viens de ma part, et puis va donc faire un tour du côté d’Oberville, il s’est passé pas mal d’événements dans ce bled pendant la guerre.

     

    Je fais part de la demande de Roger Pierret à monsieur Magnien, mon directeur.

    -C’est un sujet délicat, quelques traces sont encore dans les mémoires, je ne crois pas trop à une vengeance tardive, à mon avis, ce corbeau est un mécontent qui veut empoisonner le maire de Champbourg et qui utilise de tels arguments sachant qu’ils peuvent faire peur, vois ce que tu peux sortir comme papier intéressant en déterrant ces vieilles histoires, je te fais confiance.

     

    -Tiens, le fameux Rouletabille qui daigne rendre visite aux péquenots de Montlieu.

    Je viens d’entrer dans le café de la Mairie à Montlieu, l’un des cinq débits de boissons encore ouverts dans ce bourg, chef-lieu de canton qui compte environ 4000 habitants.

    Beaucoup de monde ce dimanche matin, de nombreux turfistes préparent leur tiercé, les discussions vont bon train et je constate avec plaisir que la page courses de la Gazette Républicaine est sur toutes les tables ou presque.

    -Un accident, un incendie dans le coin ?

    Je suis interpellé par un client accoudé au comptoir et c’est justement lui que j’espérais rencontrer.

    -Tu paies un canon journaleux?

    Je fais signe à Henri, le patron, de remplir le verre de Pierre Chauby, alias Pierrot, un gaillard qui peut me conduire vers Simon, son frère, ancien membre de la résistance.

    -Tu viens faire un tiercé, tu as de bons tuyaux ?

    -Si j’avais de bons tuyaux, je ne les divulguerai pas, sinon la cote de mon cheval baisserait.

    Henri me fait signe de ne pas insister.

    -N’entretenez pas la conversation, j’aimerais qu’il parte le plus vite possible, c’est bientôt la sortie de la messe et sa présence dérange mes bons clients d’apéro.

    -Je vous dépose chez vous monsieur Chauby, je passe par là.

    Les frères Chauby habitent à l’écart du bourg dans une ancienne maison de garde-barrière que Pierrot, maçon de profession a rénovée et agrandie.

    -Vous êtes si pressé ? Oui ça marche, sinon je vais être en retard et le frangin va râler.

     

    -Il trouve toujours un taxi pour se faire transporter celui-là, allez, va me chercher des patates à la cave, si tu veux manger à midi.

    J’ai déjà rencontré Simon Chauby, notamment lors d’une remise de médailles, il avait été décoré par le député, je ne sais plus de quelle distinction, c’est la première fois que j’entre chez lui et j’ai un mouvement de surprise.

    -Oui, je collectionne les armes, blanches et à feu.

    Sur l’un des murs de la pièce principale, quelques sabres de toutes sortes sont accrochés.

    -Au premier étage, j’ai des armes à feu, mais elles sont neutralisées.

    -C’est votre participation à la résistance qui vous a donné cette idée ?

    -Si l’on veut, j’ai commencé par récupérer quelques fusils allemands et américains puis j’ai continué, mais pas d’obus comme certains, je ne suis pas fou, je n’ai pas envie de faire sauter la baraque et moi avec.

    Simon veut me montrer sa collection de l’étage mais Pierrot a faim.

    -Revenez quand vous voulez monsieur Passy, je suis toujours à la maison ou dans mon jardin, derrière la haie.

    Je promets, dans la perspective de parler des maquisards du secteur, de l’attitude du maire de Champbourg durant l’occupation.

    …………….


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  • Les betteraves

    Les betteraves cultivées en Meuse sont en grande majorité des betteraves fourragères destinées à l’alimentation du bétail, bovins et chevaux. Les surfaces sont importantes, en rapport avec le cheptel. Le semis de printemps est méticuleux, le semoir mécanique utilisé pour les céréales est modifié pour la circonstance, en fonction de la largeur des rangs, seuls quelques godets sont ouverts. Le terrain doit être propre et parfaitement hersé, les chevaux doivent éviter de faire des écarts, après le premier passage, les suivants doivent être rigoureusement identiques. La levée est surveillée et, dès que les plantules sont suffisamment développées, il faut passer la houe entre les rangs. Encore une opération délicate, il faut approcher les plants le plus près possible mais sans les toucher naturellement. Le cheval est souvent tenu par la bride, l’homme qui tient les manches de la houe avec fermeté, reste attentif au moindre caillou.


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    Je vous propose un deuxième roman avec le même narrateur, Laurent Passy, journaliste.


    La mémoire oubliée

     

    Après les formalités d’usage, notre conversation s’enlisait dans les banalités, nous avions fait le tour du bulletin météo, parlé de nos santés réciproques en passant par les dernières nouvelles du canton et du département, évoqué la situation nationale et internationale.

    Depuis mon arrivée chez les Pierret, je ne sais pas encore pourquoi Roger, le maire de Champbourg m’a demandé de le rencontrer chez lui, sa demande téléphonique avait été pour le moins laconique, presque mystérieuse, à tel point que ma curiosité professionnelle m’avait incité à répondre rapidement à son invitation.

    Enfin, pour mettre un terme à un préambule interminable, mon hôte sort une enveloppe d’un tiroir, en extrait nerveusement un billet qu’il me tend.

    -Tenez, monsieur Passy, lisez ceci s’il vous-plait.

    Je déplie une feuille quadrillée, détachée d’un cahier d’écolier, le texte est court.

    « Je n’ai rien oublié, j’ai de la mémoire, ce sera bientôt ton tour Roger Pierret ».

    -J’ai découvert ce…message, samedi dernier, en prenant un atlas dans la bibliothèque à la demande de mon petit-fils, l’enveloppe, posée sur la rangée de livres est tombée, vous imaginez ma stupeur.

    Roger Pierret est agriculteur, il exploite un domaine agricole de plus de trois cents hectares de bonnes terres à blé et à betteraves à sucre. La famille Pierret dirige, depuis plusieurs générations,  la mairie du petit village de Champbourg, environ deux cents cinquante habitants.

    Il y a une dizaine d’années Roger avait succédé à son père Charles à la ferme et à la mairie, le maire était décédé tragiquement et brutalement le soir d’un 14 juillet en chutant d’un grenier à foin sur le sol bétonné de la grange. Un accident qui n’avait surpris personne dans le canton, le premier magistrat était connu pour son intempérance. Fraîchement arrivé dans la région, j’étais responsable de la rubrique sportive mais je me souviens que mon collègue des faits-divers avait eu quelques problèmes après la parution de son article relatant le drame. Depuis que je touche aussi à cette rubrique particulière, je sais à quel point il faut peser ses mots dans les comptes-rendus, le milieu rural est particulièrement sensible. A mes débuts, je me suis souvent heurté à des murs du silence dans des affaires de vols de bétail ou d’accidents de chasse, même les gendarmes admettent que ce n’est pas toujours facile d’enquêter, en particulier chez les paysans. Ma connaissance du terrain, quelques papiers reprenant les doléances des agriculteurs m’ouvrent plus facilement les portes et délient les langues.

    Un grand soupir, puis mon interlocuteur poursuit.

    -J’ai des raisons d’être inquiet en lisant ce papier, vous avez eu connaissance des circonstances qui ont entouré la mort de mon père, pour moi, pour notre famille, sa chute était inexplicable, c’est vrai que ce jour-là il avait bu, mais ce n’était pas la première fois qu’il montait sur le grenier dans cet état et il prenait des précautions, il ne marchait jamais au bord.

    -Quel est votre version ?

    -Nous pensons qu’il a été poussé, et ce billet le confirme.

    -Pas évident, l’auteur utilise peut-être cet argument pour vous faire peur, et vous aviez fait part de ces réflexions à la gendarmerie lors de l’accident ?

    -Oui, mais les gendarmes nous répondu que c’était souvent le réflexe des proches dans de telles circonstances… Ce que vous ignorez certainement, c’est que mon grand-père Auguste est mort lui aussi brutalement, à quelques mètres du point de chute de mon père, dans un hangar attenant à la grange, d’une crise cardiaque d’après le médecin, lui qui n’avait jamais eu de problèmes du côté du cœur. Il avait chuté contre une charrue, sa tête avait heurté un soc, il pesait plus d’un quintal, vous imaginez, de nombreux ragots circulaient, certaines mauvaises langues disaient qu’il avait été bousculé par mon père lors d’une altercation comme cela se produisait de temps en temps parait-il, c’était fin 1945, et si il avait été poussé par un tiers ? Celui qui a récidivé avec mon père…

    Evidemment, ce message a de quoi inquiéter Roger Pierret.

    J’examine l’écriture, elle est régulière, les lettres parfaitement formées.

    -Vous ne reconnaissez pas cette belle écriture ?

    -Qui écrit encore de cette façon de nos jours, personne de mon entourage.

    -En plus c’est avec un stylo à encre, avec des pleins et des déliés.

    -En effet, je n’avais remarqué ce détail… Alors qu’en pensez-vous ?       

    -Pourquoi vous adresser à moi, si vous avez des craintes pour votre vie, adressez-vous plutôt à la gendarmerie.

    -Je connais trop bien les gendarmes, ils vont me dire que c’est l’œuvre un farceur, et puis je ne veux plonger ma petite famille dans l’angoisse, maman est fragile depuis ma mort de mon père, je sais que je peux vous faire confiance, vous avez vos entrées partout.

    -Cette enveloppe était peut-être à cet endroit depuis plusieurs jours.

    -C’est possible, je prends rarement un livre dans ce rayon, mais mon épouse ou la femme de ménage pouvaient la trouver en faisant la poussière, je pense qu’elle a été déposée récemment.

    -Mais il fallait que celui qui l’a déposée s’introduise chez vous ?

    -Vous savez, dans nos villages, le maire reçoit souvent des visites chez lui, c’est mon cas, je tiens une permanence à la mairie une fois par semaine mais c’est tellement mieux de venir ici, plus convivial, les litiges se règlent plus facilement, un petit verre suffit parfois à détendre l’atmosphère.

    -Tout de même, si vous pensez que votre père et votre grand-père ont été la victime du même individu, il met du temps et de la réflexion entre ses interventions, tout d’abord en 1945, ensuite en 1978 et maintenant, dix ans plus tard.

    -Vous connaissez le proverbe, la vengeance est un plat qui se mange froid…

    -Que pourrait-on reprocher à votre famille, une vielle histoire antérieure à 1945, éventuellement ?

    -Vous y êtes, mon grand-père a dirigé la commune durant l’occupation, ce n’était pas facile, il lui fallait ménager la chèvre et le loup et mon père était prisonnier, de nombreux évènements se sont déroulés dans notre canton, vous qui avez des contacts faciles avec les gens, je pense que sous prétexte de faire un article sur la période de l’occupation, vous pourriez recueillir quelques informations.

    Ce genre d’investigation n’est pas pour me déplaire, pendant des années après la libération, il était difficile de récolter des renseignements, mes anciens collègues s’en souviennent, les souvenirs étaient trop frais, maintenant les langues devraient se délier.

    -Alors, vous êtes d’accord pour m’aider monsieur Passy, je vous dédommage de vos frais, de route et divers.

    -Si je m’occupe de votre affaire, ce sera dans le cadre de mon emploi, et avec l’accord de mon patron, je suis payé pour exercer mon métier

    -Excusez-moi, je ne vous ai pas froissé j’espère, vous savez à notre époque tout se monnaye.

    Roger Pierret est visiblement gêné, je le rassure, ce n’est pas la première fois que l’on me propose des cadeaux, j’accepte des places pour un concert, un spectacle ou un match, mais sans plus.


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