• Je passe à la brigade de Montlieu, pas curiosité, j’aimerais connaître le résultat de l’analyse graphologique de Robert.

    -Vous avez bien fait de conseiller monsieur Pierret de nous mettre au courant de cette lettre anonyme, nous exerçons une surveillance discrète dans le secteur de Champbourg, un individu rôde dans les parages, après l’eau et le feu, que va-t-il inventer pour faire peur aux villageois ?

    -Faire peur, il y avait des risques d’asphyxie tout de même.

    -La nuit ça aurait été plus grave en effet, étant donné sa façon de procéder, je suppose qu’il n’est pas trop dangereux.

    -Que vous apprend le papier ?

    -Votre ancien collègue est fortiche, je vous lis son rapport…Le papier, une feuille de cahier d’écolier, datant des années de guerre, un papier de mauvaise qualité, ensuite une belle écriture à la plume, des pleins et des déliés, avec de l’encre provenant certainement du réservoir d’un stylo, le message a été écrit il y trois mois environ.

    -Concernant le cambriolage, vous avez des indices.

    L’adjudant Quentin a un mouvement d’humeur.

    -Les Pierret vous ont parlé de ce cambriolage, seul un tableau a été volé, il est bien possible en effet que ce soit le visiteur qui a déposé la menace, les dates concordent.

    -En parlant de vol, vous en avez eu d’autres dans le secteur?

    -Non.. Ah si, un bûcheron qui voulait porter plainte pour le vol de son vélo et de sa remorque, comme il est souvent bourré, possible qu’il ait oublié son attelage devant un café.

    -Et si cet attelage comme vous dites, avait servi à transporter des bidons d’huile ?

    -Vous avez raison, c’est une piste.

     

    Je retourne voir mon ami Hans, Margot et Bouboule travaillaient à la scierie, il devait les connaitre.

    -Une histoire qui me retourne quand on en parle, naturlich, je connaissais toute la famille Mazard, la petite Margot, elle était bonne chez Henri Vernat, une belle gamine, travailleuse, Bouboule, il surveillait la chaudière des séchoirs, le père venait chaque fin de mois chercher la paie de ses enfants et il montait jusqu’ici pour boire un coup de schnaps, dès fois avec son dernier.

    -Gabriel ?

    -Oui, une tête ce gamin, il aurait fait polytechnique, une grande école, quand j’avais un four en route, il venait avec moi dans la clairière, il me parlait de la combustion lente, de l’oxygène, il reconnaissait tous les arbres, et toujours bien poli.

    Le colosse se tait, il fixe la cloison, ces souvenirs sont douloureux pour lui.

     

    Je suis plongé dans cette étrange aventure, la famille Mazard m’intéresse, je suis persuadé que la menace reçue par Roger Pierret a un rapport avec la tragédie, le vengeur pourrait être un parent. Je comprends que le notaire et Auguste Pierret n’ont pas dévoilé la vérité, ils se sentaient coupables.

     

    Un nouvel événement insolite à Champbourg, en pleine nuit, les cloches de l’église se sont mises à sonner le glas, la sonnerie a duré le temps d’aller chercher la clé chez une vieille dame, je fais un tour au village pour glaner quelques renseignements, le mieux est de voir monsieur Langlois.

    L’ancien instituteur est absent, une ardoise accrochée à la grille indique qu’il est dans son verger, derrière l’église, l’écriture me rappelle… surtout les majuscules, la même forme que sur le billet. M’étonnerait que ce brave homme joue les vengeurs…alors, l’un de ses anciens élèves, un copain de classe de Gabriel ou de Marcel ?

    -Quel boucan, en pleine nuit, et madame Vignon qui dormait comme une bienheureuse, il a fallu tambouriner à la porte pendant un bon quart d’heure, tout le village était debout, sauf elle. On se demande comment le sonneur a réussi à pénétrer dans l’église, la porte de la sacristie est condamnée.   

    -Que pensez-vous de ces incidents, qui en voudraient aux gens du village ?

    -Je vous vois venir, vous pensez qu’ils ont un lien avec le drame de 44, quelle est la responsabilité des habitants, que pouvaient-ils faire à cette époque, chaque famille souffrait de l’occupation, plus ou moins, un mari ou un fils prisonnier, les difficultés quotidiennes.

    -Et si un membre de la famille avait survécu, s’il était responsable des morts brutales d’Auguste et Charles Pierret.

    -Une idée qui me trotte dans la tête aussi, Marcel ou Gabriel ? Ce serait terrible, non c’est impensable.

     


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    Le cidre,

    Les pommes et les poires arrivent à maturité, c’est le moment de les récolter. Après la cueillette des plus beaux fruits afin de faire des tartes et de les conserver au cellier, les arbres sont secoués pour faire tomber le reste. Les fruits sont chargés dans un tombereau, direction le pressoir. Il y a souvent plusieurs pressoirs dans un village mais il faut prendre rendez-vous avec le propriétaire. Le cidre frais est apprécié, surtout par les enfants qui viennent en boire à la sortie du pressoir, seulement un abus peut provoquer quelques ennuis digestifs. Une partie du cidre est conservé en bouteille, il sera bu d’ici la prochaine récolte.


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    Plus de café à Champbourg, le dernier a fermé il y a trois ans, son enseigne est encore en place mais elle pend lamentablement, c’était pratique pour avoir des renseignements. Je tourne deux fois sur la petite place, Roger Pierret m’a décrit la maison des Mazard, très délabrée et située en face de la mairie, je n’en vois qu’une.

    Je descends, j’avise un vieux monsieur appuyé sur sa canne.

    -C’est bien la maison de la famille Mazard ?

    -C’était, elle va bientôt s’effondrer.

    La toiture est gondolée, les volets en bois ouverts sont en piteux état, les vitres cassées, la courette est envahie de ronces et d’orties,

    -Plus personne, à part des fantômes.

    -Des fantômes ?

    -Oui, j’ai déjà vu des lumières danser la nuit, des revenants j’vous dis.

    Un autre Champbourgeois s’approche.

    -On visite Champbourg monsieur Passy ?

    Je reconnais l’homme, c’est un ancien instituteur, il a travaillé pour la Gazette Républicaine durant plusieurs années comme correspondant local.

    -Vous regardez cette ruine, c’est un mémoire perpétuelle, une sorte d’épine dans le cœur des habitants, vous êtes au courant ?

    -Oui j’ai appris ce qui s’est passé ici, vous étiez déjà à Champbourg à cette époque?

    -Oui, je suis venu ici en 43, mon premier et unique poste, le père Mazard était tâcheron, un touche-à-tout, il travaillait souvent dans les fermes mais il était capable de faire des travaux de maçonnerie et de menuiserie, la mère était discrète, elle faisait des ménages, à l’école, à la mairie et chez les Pierret.

    -Et les enfants ?

    -L’aîné était un brave garçon, un peu, comment vous dire, demeuré.

    -Bouboule ?

    -Oui, vous êtes au courant, les boches l’ont abattu dans la forêt, les sauvages, pour un simple geste, il travaillait comme veilleur de nuit à la scierie Vernat d’Oberville, ensuite les soldats sont revenus ici et ont embarqué toute la famille Mazard.

    Je comprends que c’est la version véhiculée dans le village, Auguste Pierret n’a jamais dévoilé la vérité, mais je suppose que les résistants qu’il a prévenus, enfin ceux qui ont survécu la connaissent aussi, tout comme le notaire et son clerc, les secrets sont bien gardés dans les campagnes.

    -Les trois autres enfants ?

    -Margot, la jeune fille avait à peine 18 ans, elle était domestique, également chez les Vernat comme Bouboule, Marcel avait 17 ans, apprenti charpentier dans une entreprise du secteur, agile et malin comme un singe.

    -Le plus jeune ?

    -Il était mon élève, il terminait sa scolarité et je le préparais pour le certificat d’études en étant pratiquement certain qu’il serait premier du canton, un garçon d’une grande intelligence, il apprenait ses leçons en une seule lecture, j’aurais bien aimé qu’il continue ses études, nous aurions trouvé l’argent nécessaire pour payer les frais de pension, le Maire était partant.

    Monsieur Langlois soupire.

    -Vous n’avez jamais su ce qu’était devenue la famille ?

    -Ils sont morts dans un camp nazi sans aucun doute, comme beaucoup d’autres.

    -Et que pensez-vous de chlore dans l’eau potable et de l’incendie du hangar ?

    -Le chlore ? Une fausse manœuvre des responsables, quant à l’incendie, c’est vrai qu’il est suspect, nous avons failli être asphyxiés, mon épouse surtout, elle a déjà des problèmes de respiration.

    -Le chalet des Barrettes est toujours débout ?

    -A ma connaissance oui, vous voulez faire un tour dans les bois, le chemin n’est pas terrible, les chasseurs ont des 4/4 maintenant, mais comme il fait sec, deux petits kilomètres, vous ne pourrez pas le visiter, il est fermé à clé, les jeunes allaient faire y faire des conneries.

    -Qui a la clé ?

    -Les chasseurs de Montlieu, le président c’est le fils du notaire, Didier Margon.

    -Je n’ai pas l’intention d’y pénétrer, juste le voir.

    L’ancien instituteur m’indique la direction.

    Les premiers hectomètres sont tout à fait praticables mais en bordure du bois, le chemin est dégradé, je préfère continuer à pied.

    Je me demande si je suis sur la bonne route, il me semble avoir parcouru au moins un kilomètre et toujours pas de chalet, et puis je regrette de ne pas avoir pris la voiture car, à part un passage un peu délicat, le chemin n’est pas si mauvais.

    Ouf ! Je distingue enfin la construction au fond d’une clairière où sont installés des bancs et une balançoire pour enfants.

    Le chalet en rondins ressemble à la cabane de Hans, il a certainement reçu une couche de vernis récemment, il brille au soleil.

    Dire que c’est dans cet endroit tranquille que le drame de la famille Mazard a débuté, Bouboule mitraillé…

    Je fais le tour de la construction, la porte arrière s’ouvre directement dans la forêt, c’est par là que les maquisards se sont échappés. En examinant la façade avant, je distingue nettement des impacts de balle.

    Je reste quelques minutes immobile avant de redescendre, curieusement, j’ai l’impression que le retour est moins long.

     


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    Le dimanche,

    Dans les années 50, le dimanche était un jour de repos, les agriculteurs ne faisaient aucun travaux des champs sauf en période de fenaison ou de moisson, lors d’années pluvieuses, et encore, il allait à la messe le matin. Naturellement, ils devaient tout de même s’occuper des vaches, les traire, les monder et les nourrir, également nettoyer l’écurie et donner à manger aux chevaux. Les paroissiens allaient à l’église à pied, en sortant de la messe, ils passaient par le cimetière, dire une prière sur les tombes des parents disparus. Puis, pendant que les femmes rentraient à la maison pour préparer le repas de midi, les hommes se rendaient au café afin de boire l’apéro mais aussi pour discuter. C’était un brouhaha indescriptible dans une ambiance enfumée, la politique était l’un des sujets de discussion, mais aussi le temps et les travaux agricoles. Parfois les garçons accompagnaient les pères, ils buvaient un diabolo menthe ou grenadine.


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    Maître Margon avait accepté de me rencontrer, maire et conseiller depuis des lustres, il a transmis la charge de notaire à son fils Didier mais on dit dans le canton qu’il a toujours un œil sur les activités de l’étude, et heureusement.

    -Je vois que vous vous intéressez à notre région à la Gazette, j’ai entendu dire que vous enquêtez sur des faits qui se sont déroulés durant l’occupation.

    Les services de renseignements du notaire fonctionnent bien.

    -Vous avez un peu de temps jeune homme, j’ai beaucoup de choses à vous raconter sur cette période.

    Le notaire se cale dans son fauteuil.

    -Passons sur la drôle de guerre, j’étais capitaine de réserve, pris au piège avec mes hommes  dans un fort de la ligne Maginot et envoyé dans un stalag en Allemagne. Mon père, un ancien de la Grande Guerre, choqué par la tournure des événements décède, je suis libéré et reprend l’étude. Heureusement, nous avons un clerc au courant de toutes les affaires, Jean Martin, grâce à lui, je peux poursuivre l’œuvre de mon père.

    Maître Margon reprend son souffle et poursuit :

    -Dès mon retour à Montlieu, le Conseil Municipal me demande de reprendre la charge de maire assurée par l’adjoint, j’hésite, je crains d’être confronté à des problèmes majeurs après l’armistice, pour avoir côtoyé des militaires Allemands, je sais qu’Hitler a l’ambition de soumettre l’Europe à sa botte, et puis j’accepte, pensant que je pourrai me rendre utile à ma commune, à mon pays…Vous voulez un rafraîchissement ?

    J’accepte un jus d’orange qu’il sort d’un mi-réfrigérateur.

    -Je suis aussi à la diète, conseil de mon toubib, il a certainement raison, nous allons trinquer…Nous ne sommes pas trop envahis par l’occupant, je me débrouille pour ne pas suivre à la lettre des instructions de Vichy, en novembre 1943, je reçois une visite inattendue, celle d’un ancien compagnon de captivité, le capitaine Grégoire, il s’est évadé et il chargé de coordonner les actions de la résistance dans notre département, il me parle d’un groupe qui se terre dans le secteur d’Oberville, le groupe Clément, et me demande si je peux servir de relais pour le courrier, les communications par radio étant trop dangereuses.

    Un coup de téléphone interrompt mon interlocuteur, il demande à ne pas être dérangé.

    -Il y a des bavards au téléphone… J’accepte cette mission, je suis toujours officier de réserve, mes contacts sont Simon Chauby, le facteur d’Oberville, un gendarme de la brigade de Montlieu et un garde-forestier, j’ai également des contacts avec des passeurs et des personnes qui cachent les juifs traqués.

    -Et Auguste Pierret, j’ai appris qu’il avait sauvé une vie ?

    -Vous feriez un excellent détective, d’où tenez-vous cette information, pauvre Auguste, il n’a pas eu le temps de savourer la victoire, vous croyez qu’on peut encore évoquer des faits aussi anciens ?

    -Je vous en prie.

    -Vous y tenez.

    Maître Margon vide son verre et continue.

    -Nous sommes en fin d’après-midi, le jeudi 6 avril 1944, depuis le début de l’année, la résistance est active dans notre secteur, je vous passe les détails, ce jour-là donc, j’entends des bruits de moteur dans la rue et deux officiers de la gestapo accompagnés de deux miliciens font irruption dans mon bureau, vous imaginez mon état, persuadé qu’ils sont au courant de mes agissements et qu’ils viennent m’arrêter. Je suis soulagé quand l’un des miliciens déploie une carte sur mon bureau et me demande de leur situer un lieu-dit sur le finage de Champbourg, c’est bien le notaire qui est sollicité mais je tressaille quand ils me parlent des Barrettes, à cet endroit, en bordure de forêt, se trouve un ancien chalet de chasse et je sais qu’il sert de refuge aux résistants éventuellement de lieu de réunion.

    -Des maquisards du groupe Clément ?

    -Non, c’est un autre groupe qui gravite dans ce secteur, à l’opposé d’Oberville, je rechigne, j’hésite, mais ces messieurs se fâchent. Prétextant un besoin pressant, je vais dans les toilettes et griffonne sur un morceau de journal… le papier hygiénique était inexistant… « Pierret, Champbourg, Barrettes», en sortant, je fais un petit signe à mon clerc.

    -Et ils vous obligent à les guider sur place ?

    -Exactement, en jetant un coup d’œil par la fenêtre, je constate qu’ils ont des renforts, deux autos-mitrailleuses et une moto, pour gagner du temps, je demande à prendre une petite laine, un voyage en décapotable ce n’est pas encore la saison, j’espère que monsieur Martin parviendra à joindre Auguste Pierret par téléphone.

    -Qui aura le temps d’avertir les maquisards.

    -En envoyant un émissaire, c’est ce que j’espère mais, en arrivant aux abords du chalet, un homme en sort, il est copieusement mitraillé et s’écroule. Les Allemands tirent encore des rafales contre le chalet puis l’encerclent mais apparemment il n’y a plus personne, ils fouillent la forêt voisine avec leurs chiens, en vain. Je vis un véritable cauchemar, un officier me demande d’identifier l’homme abattu, je crois le reconnaître, mais je ne dis rien, je crains de subir le même sort, puis finalement je suis véhiculé jusqu’à Montlieu et libéré devant l’étude.

    -Votre clerc avait réussi à joindre le maire de Champbourg.

    -En effet, il avait compris mon signe, avait entendu quelques mots, la chance que le téléphone fonctionnait car en effet, la gestapo était bien renseignée, je l’ai su plus tard, une réunion se tenait dans le chalet, ils étaient une quinzaine.

    -Et l’homme abattu était l’émissaire ?

    -Exact, mais le pire est survenu le soir même, Auguste Pierret avait envoyé un jeune homme du village, un fils Mazard, il me semblait bien que c’était la victime, un garçon peu simplet surnommé Bouboule, il aurait dû quitter les lieux aussitôt sa mission remplie mais il s’est attardé dans le chalet, allez savoir pourquoi, après une identification, toute sa famille a été emmenée pour une destination inconnue, les parents et trois jeunes de 14 à 18 ans.

    Maître Margon se tasse sur son fauteuil, son front perle de sueur, ses yeux s’embuent.

    -Aucun n’est revenu, je me suis senti coupable, je me sens encore coupable, six morts innocents.

    -Mais les résistants ont été sauvés !

    -N’empêche, d’ailleurs Auguste Pierret avait les mêmes remords que moi.

     

    Tout en roulant je ressasse cette douloureuse histoire, et si les Pierret étaient réellement victimes d’une vengeance, estimant qu’Auguste est responsable de ce drame, seulement aucun membre de la famille Mazard n’a survécu, un parent, un ami peut-être?

    Je contacte Roger Pierret, il est surpris de la version concernant la tragédie qui s’est déroulée en avril 1944 à Champbourg.

    -J’ignorais que mon grand-père était mêlé de près à ce drame, j’ai toujours entendu dire que Bouboule avait nargué les Allemands, qu’il leur avait fait un bras d’honneur alors qu’ils passaient sur la route du bois, ce que vous me racontez avive mes craintes, voilà un motif de vengeance!


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