• La mémoire oubliée (fin)

     

    C’est Didier Margon qui poursuit la lecture.

    Je rejoins la gare de Servigny a pied à travers les champs et les bois en évitant les villages, j’évite d’aller à Montlieu où je pourrais être reconnu, je prends le premier train et je descends à Dijon, je suis mal et je me présente dans un hôpital où je suis pris en charge immédiatement, le médecin diagnostique la tuberculose. Je suis bien soigné, après un traitement, je suis envoyé pour une cure de repos dans le Jura, je fais connaissance avec Maria, une jeune femme d’origine polonaise, elle a également connu les camps nazis, elle aussi a été bien soignée et nous décidons de nous consacrer aux malades, nous allons à Berck-Plage, malheureusement, en janvier 1953, Maria a une rechute, elle décède. Je quitte le Pas-de-Calais pour Lourdes où je deviens brancardier, pendant trente ans, je vis avec les malades et les handicapés, je partage leur peine.

    -Il ne parle pas de mon père, il n’est pas responsable, j’aime mieux ça.

    -Je termine, il reste encore quelques feuilles, j’ai l’impression de lire un testament… Lors d’un pèlerinage, j’ai un malaise, je pense à une rechute de la tuberculose, je consulte et j’apprends que j’ai un cancer sur un poumon. Le docteur est un ami, il ne me cache pas la vérité, c’est grave, il ne me reste que quelques mois à vivre. Avant de quitter ce monde, je veux revoir Champbourg, je passe au cimetière, la tombe d’Adrien est dans un état pitoyable, quand je vois le superbe monument des Pierret, je suis en rage, je constate que Charles a rejoint ses parents, je me doute que son fils Roger a pris la succession à la mairie et il me prend l’idée de le rencontrer. Je sonne à la porte, personne ne répond, je rebrousse chemin. Le lendemain, je pense que cela ne servira à rien de rencontrer le maire et je décide de lui faire peur. C’est dimanche, je suppose que toute la famille va à la messe, j’écris un billet, le glisse dans une enveloppe et dès, que la voiture des Pierret prend la route d’Oberville, je me suis procuré des passepartouts, j’entre dans la maison par une porte arrière et dépose la menace. En passant dans la grande pièce, j’aperçois des tableaux, l’un d’entre eux représente le centre du village dont notre maison, je le décroche et l’emporte. Je remonte au chalet, me recueille à l’endroit où mon frère aîné a été tué, puis je retourne à Lourdes. Mon ami docteur me conseille du repos et me fait admettre dans un hôpital de Toulouse d’où, j’en suis certain, je ne sortirais plus vivant. Je m’échappe de ce mouroir, je veux mourir chez moi, je navigue entre le chalet et la maison mais, avant de disparaître, je veux me venger des gens de Champbourg, le chlore, l’incendie du hangar et les cloches, c’est moi, j’apprends dans le journal l’assassinat de Simon Chauby, ça me retourne et je veux dire que je ne suis pas le coupable, je vais chez Hans, il n’ouvre pas sa porte, j’ai emprunté un vélo et une remorque pour transporter l’huile, je vole de l’essence à la scierie que je dépose chez nous, ensuite deux bouteilles de gaz dans une station-service, je remonte au chalet pour écrire ces pages, j’écris une lettre pour le journaliste que je poste, il me reste un acte ultime à accomplir, disparaître et faire disparaître notre maison.

    -Encore une page, plus loin.

    Il s’excuse des désagréments qu’il a causés, il demande qu’Adrien soit honoré comme il le mérite, que sa famille sorte des profondeurs de l’oubli.

    L’écriture de Gabriel danse devant mes yeux, Roger est pétrifié, Benoît est sorti prendre l’air, Didier referme le cahier religieusement.

    -Nous sommes des égoïstes, l’agonie des Mazard dure depuis quarante-cinq ans, nous devons absolument réparer cet oubli.

    -Un vélo et une remorque derrière le chalet.

    Nous suivons Benoît, l’attelage disparu est là, son propriétaire pourra le récupérer.

    -Un paquet ?

    Je crois devenir ce que contient ce paquet carré et plat.

    -Monsieur Pierret, le tableau de votre maman.

    C’est bien lui, en bon état.

    -J’étais persuadé qu’il était dans les cendres de la maison, c’était vraiment un grand monsieur ce Gabriel.

    Je pensais trouver une explication à l’utilisation de mon prénom officiel, rien à ce sujet, le mystère reste entier.

    Roger Pierret me demande de conserver le cahier.

    -Il s’est adressé à vous, c’est logique.

    Je veux informer Hans qui a retrouvé sa cabane, il n’est pas seul, Vincent Vernat et son petit-fils rendent visite à Mozart, je résume le testament de Gabriel, ils sont bouleversés.

    Champbourg veut rendre hommage à Gabriel et à la famille Mazard, une cérémonie officielle est programmée, suivi d’un office religieux.

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    Je me demande comment je vais traiter ce sujet douloureux, alors que le patron et le rédacteur en chef émettent l’idée de sortir une double page spéciale, je parviens à les convaincre de rester dans la sobriété et mon idée est adoptée.

    C’est ainsi que paraît une nécrologie de vingt lignes sur deux colonnes au milieu d’une page blanche,  cette publication insolite est commentée dans de nombreux journaux, à la télévision, nous recevons des courriers de la France entière et même d’Allemagne, des coups de téléphone, tous nous félicitant de cette initiative.

    -Nous avons eu une excellente idée, souligne monsieur Magien !

    Un ancien résistant du groupe de maquisards alerté par Adrien Mazard, m’envoie une longue lettre où il relate les faits qui se sont déroulés le 6 avril 1944.

    « Nous étions dix sept dans le chalet des Barrettes, représentant trois groupes, quatre du groupe Oural dont moi, cette réunion des responsables de secteur avait pour but de coordonner certaines actions pour éviter si possible les représailles des nazis. Nous étions là depuis environ vingt minutes, quand nous entendons « y a quelqu’un ? ». L’un des présents ouvre la porte qui donne dans la clairière et aperçoit un cycliste qui lui crie « Faut partir, des boches arrivent ». Nous nous échappons par la porte arrière pour rejoindre notre planque de repli, une sorte de grotte située de l’autre côté de la rivière, alors que nous étions cachés depuis une bonne demi-heure des bruits de moteur nous parviennent suivis presqu’aussitôt de rafales de mitrailleuse, puis des aboiements de chiens, nous avons encore attendus une heure avant de sortir et de rejoindre nos campements. Nous pensions que l’homme qui nous avait prévenus avait eu largement le temps de redescendre au village ou, connaissant les parages, qu’il avait pris le chemin qui rejoint Rouville par la forêt ».

    La Municipalité de Champbourg en réunion extraordinaire a voté à l’unanimité la pose d’un monument en mémoire des six personnes de la famille Mazard.

    -Nous allons déblayer rapidement les ruines de la maison, aménager une plateforme et ériger une stèle.

     

    Prologue

     

    La Municipalité et les habitants de Champbourg ont tenu leurs promesses, quelques mois plus tard, une stèle en mémoire des disparus était inaugurée lors d’une émouvante cérémonie. Tout le canton est présent et même au-delà, de nombreux drapeaux entourent le monument, ainsi que des délégations d’Anciens Combattants, de Résistants et de Déportés. Le discours de maître Margon fait sortir les mouchoirs, celui de Roger Pierret est sobre, il demande pardon pour tant d’années de mémoire oubliée.

     

     

     


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  • Commentaires

    1
    Jeudi 10 Novembre 2011 à 14:53

    This story written very well. You use a lot of interesting descriptions in it. 

    2
    Chriscol Profil de Chriscol
    Samedi 12 Novembre 2011 à 21:44

    Merci!

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