• La mémoire oubliée

    Comme je passe à proximité de l’hôpital, je vais en profiter pour rendre visite à Hans, il devrait regagner sa cabane avant fin de la semaine.

    -Je commence à en avoir marre, les infirmières sont gentilles, mais entre ces quatre murs et dans ce lit blanc, je suis comme dans un cercueil.

    -J’ai appris que tu avais un chien.

    -Oui, depuis trois semaines, une pauvre bête perdue, il m’a tout de suite adopté, Vincent Vernat est venu me voir, c’est lui qui le garde en attendant mon retour, un chic type ce Vincent, pas comme ses cousins.

    -Ton visiteur qui ressemble au père Mazard, il était venu comment ?

    -Pas en voiture, je n’ai pas entendu de bruit de moteur, tu sais ça résonne dans la côte, alors tu me crois ?

    Je parle de la visite de la maison des Mazard, de la certitude qu’un homme y a séjourné.

    -Tu vois, je ne suis pas fou, c’est Marcel ou Gabriel, un revenant.

    -Tu te souviens de Margot, elle avait des amoureux ?

    -Possible, elle était mignonne, elle me plaisait aussi mais…

    -Mais tu avais une maîtresse, j’ai même entendu dire que c’était sa patronne, madame Vernat.

    -Vous dans les journaux, vous avez des grandes oreilles, le neveu de Fernande aussi courait après Margot, et puis d’autres.

    Je sors la photo de mon portefeuille.

    -Celui-ci, tu le connais ?

    -Attends-voir, non, peut-être bien le neveu de Fernande, je ne suis pas sûr, c’est tellement loin tout ça !

    J’examine à nouveau la dédicace, il me semble reconnaître un V majuscule.

    -Son prénom, tu te souviens ?

    -Maurice je crois…un V tu dis, c’est peut-être Vincent Vernat, ils avaient le même âge…oui je crois reconnaître les yeux, tu l’as déjà vu ?

    -Je n’ai jamais eu l’occasion de le rencontrer, ses cousins oui, quand il y a un vol, j’ai affaire à eux.

    -Si tu as le temps, va voir Mozart, dis-lui que je vais bientôt revenir.

    -Mozart ! Tu as appelé ton chien Mozart !

    -Et alors, c’est pas un beau nom!... Comme ça tu verras Vincent.

     

    -Comment, vous êtes déjà au courant ?

    Je venais de pénétrer dans la cour de la scierie Vernat, Louis, l’un des patrons venait vers moi.

    -Au courant de quoi ?

    -D’un vol cette nuit, des jerricans d’essence, quatre.

    -Vous avez de l’essence en bidons ?

    -Pour les tronçonneuses, quand nous allons en forêt, j’allais appeler les gendarmes.

    -Vous croyez que la gendarmerie va se déplacer pour quelques litres d’essence ?

    -Vous êtes marrant vous, depuis le début de l’année, deux tronçonneuses, des pneus, toujours les mêmes loustics.

    Un autre homme sort du bureau, ce doit être Vincent.

    -Monsieur a raison Louis, on ne va pas déranger les gendarmes une fois de plus, ils ont d’autres chats à fouetter en ce moment.

    C’est en effet Vincent et je lui demande des nouvelles du chien de Hans.

    -Vous êtes Laurent Passy, le charbonnier m’a parlé de vous, il va bien Mozart, on a eu droit à un concert cette nuit, il a entendu les voleurs lui, nos autres chiens n’ont pas aboyé, venez, il est derrière dans un enclos, je n’ai pas voulu l’attacher, chez Hans il était libre.

    Je m’attendais à voir une sorte de berger allemand ou un bouledogue, c’est un bâtard tirant sur le setter, il a une bonne tête et, à mon approche, il gambade et remue la queue.

    -Mon petit-fils l’a déjà adopté, quand il retrouvera son maître, il pourra lui rendre visite, ce n’est pas loin.

    J’essaye de deviner le jeune homme de la photo sur le visage de Vincent qui doit avoir dans les soixante ans, le regard clair est ressemblant.

    Je brûle de lui montrer la photo, je vais préparer le terrain avant, je lui parle de la visite de la PJ et de la gendarmerie dans la maison de Champbourg.

    -J’ai lu votre compte-rendu dans la Gazette, vous avez réveillé bien des souvenirs.

    Vincent a les yeux fixés vers la forêt, silencieux.

    -Oui, bien des souvenirs…

    -Je comprends, vous connaissiez bien la famille.

    J’avais dix-sept ans en 44, Bouboule s’occupait de la chaudière, c’est tout ce qu’il était capable de faire le brave garçon, mais le faisait bien, il était consciencieux.

    -Et Margot ?

    Un nouveau silence, j’en profite pour sortir la photo.

    -Vous allez m’en vouloir, voilà ce que j’ai découvert dans la maison de Champbourg.

    Vincent regarde la photo sans réagir, il est comme tétanisé, il la retourne.

    -Pourquoi vous en voudrais-je ?... Je n’imaginais pas qu’elle l’avait conservée, je me demandais même si elle l’avait trouvée, je l’avais glissée dans la poche de son manteau accroché dans l’entrée, j’étais encore un gamin, c’était déjà une femme, je la trouvais jolie et gentille, c’est ce que j’avais écris au dos, elle n’avait eu aucune réaction, j’étais déçu, et puis quelques jours plus tard…

    -Le jour de la rafle, elle était en jour de congé ?

    -Oui et non, elle avait demandé sa journée car sa mère était souffrante, sinon, elle aurait été épargnée…C’est affreux.

    Nous revenons dans la cour.

    -J’étais militaire en Allemagne, en 47 et je suis allé visiter un camp nazi, il était resté en l’état, l'odeur de la mort flottait encore dans ce lieu maudit…J’ai pensé aux souffrances endurées par Margot,  par ses parents, par ses frères…et vous pensez que l'un de ses frères a survécu, qu’il est revenu ici ?

     


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