• La fontaine de jouvence

    Les jours passent sans aucune nouvelle; puis, enfin, je reçois un appel de la brigade d'Auvigny. - Je vous attendais, je pensais recevoir votre visite, vous avez abandonné notre canton, j'avais quelques petites informations à vous communiquer. - Je vous écoute. - Tout d'abord, mais je pense que allez être averti par vos amis de Morigny, un puits va être dégagé, je n'ai pas besoin de vous donner d'explications, nous savons que vous êtes dans le coup, vous ne pouvez que souhaiter une réussite à cette entreprise au résultat très aléatoire, autrement, nous avons des nouvelles de la personne blessée lors des bagarres, vous savez le géologue. - Géomètre vous voulez dire? - J'ai bien dit géologue, des forages sont prévus sur le site de l’ancienne usine et les gars sur place ce jour-là n'étaient pas du tout des géomètres, un petit mensonge qui ne plaît pas du tout à mon supérieur, d'autant plus que la pierre devait être un grain de sable car le visage de ce monsieur ne présente aucune trace visible, le docteur Marlin va être surveillé attentivement, ce n'est peut-être pas la première combine, nous avons quelques curieuses affaires à ramener à la surface, s'il vous plaît, ce dernier tuyau, à ne pas diffuser pour le moment, l’effet de surprise. - Et Desbois? - Vous y tenez, il n'est pas à la clinique des "Bouleaux" lui, et les rapports des spécialistes de l’hôpital sont fiables... il faut éviter de le bousculer, ce monsieur est fragile, voici les dernières consignes. - Salvati et son agresseur? - Le scieur va bien, il garde sa femme, magnanime cet homme, il n'accable pas son ex-ami et estime que ce n’est pas lui qui le guettait au coin du bois.. - Je vous remercie, je passerais dès que possible, puisque je vous manque. - A bientôt au pied du ... "Légionnaire" Bonnes nouvelles, comme Cavalier l'avait prévu, Jean-François me confirme que les travaux sont programmés. - Compliqué, il a fallu batailler ferme pour avoir gain de cause, et puis un petit miracle, un autre témoin s'est manifesté entre temps et a contacté les gendarmes, à jeudi, croisons les doigts. Cela m'aurait étonné que mes amis de la maréchaussée me dévoilent tout, ils gardent toujours des infos en réserve. Benoît, que je sollicite, n'est pas très chaud pour cette expédition. - Ton radié.. machin, je n'y crois absolument pas, des charlatans ces gars. Il me confie un appareil. - Le plus simple, t'appuie, ça avance tout seul, réglage automatique, si tu rates les photos avec cet appareil, c’est que tu es nul. Morigny est en ébullition, malgré le peu de publicité, le bouche à oreille a bien fonctionné; un engin est déjà en position, les fleurs ont été dégagées; le maire est présent, il me jette un regard goguenard, l'adjudant et les deux gendarmes se sont placés un peu à l'écart. Malaisé de sortir les blocs de rocher du puits, inlassablement, le bras de la grue plonge dans le trou et remonte un mélange de terre, cailloux, rochers, quelques détritus aussi; les spectateurs ne sont pas avares de commentaires. Cette opération a reçu l'agrément des autorités, grâce au témoignage d'une voisine qui, comme l'autre grand père, affirme avoir entendu du bruit en pleine nuit; elle dit avoir distingué deux véhicules et aperçu des formes courir vers le puits. J'ai rarement été aussi nerveux, je tourne autour du chantier, évalue le tas de gravats sorti, Jean-François est dans le même état. Incroyable, le tas monte et le godet n'est encore pas au fond. - Le coordinateur des travaux hurle au grutier de stopper à trois mètres quatre vingt; fortiche le gars, au bout d'une bonne heure de pelletées, il arrête son engin; une échelle en fer est descendue, le contremaître descend un tuyau de caoutchouc et le branche sur une petite pompe. Je m'approche, intrigué. - Pour déceler éventuellement la présence de gaz, très dangereux dans les puits.... c'est bon, rien, ce puits doit être aéré plus loin, un petit courant d'air au fond. Un ouvrier harnaché descend muni d'une sorte de lampe de mineur. Il remonte assez rapidement. - Il reste encore deux bons godets de remblai à sortir. L'engin remet ça et l'homme redescend. Les gendarmes se sont approchés, un silence plane sur tout ce monde rassemblé autour de la margelle éventrée. Interrogations lorsque la tête du gars réapparaît. - Un mètre de flotte, à peine, mais elle est froide, drôlement froide, autrement je ne vois rien. La déception gagne l'assistance, je m'éloigne un peu, je sens le regard du maire mais aussi celui des gendarmes et des autres, je vais me faire lapider... moralement... que je suis bête de m'être laissé embarqué dans cette aventure idiote. - Attendez les gars, ce puits n'est pas comme les autres. L'ancien maire que j'avais évité se dirige vers le responsable, canne pointée. - Au fond, c'est comme un courant souterrain, c'est pour ça que l'eau est glacée, c'est un ruisseau qui coule dessous, faut regarder en aval, dans le déversoir. Les intéressés semblent sceptiques; je reviens vers le groupe, encore un faible espoir. - Bon, je replonge mais il fait m'envoyer un seau et une pelle. - Tu te crois à la plage. L'homme disparaît à nouveau, suivi d'un seau accroché à une corde, une pelle à manche court suit le même chemin; nouveau silence, un grattement sourd monte du trou, un premier seau de gravier et de sable remonte, l'eau dégouline, puis un deuxième, le troisième est vidé sur le tas... tous les curieux avancent d'un mètre... une chaussure de femme...Rumeur, mouvements divers. - Pas d'affolement, cette chaussure est peut-être unique et seule, pas de pied au bout. Toujours aussi spirituel le chef. Il n'a pas tort, le trou béant pendant des années devait attirer les déchets et les laissés pour compte. Seulement, à voir la tronche du puisatier quand il émerge, tenant une autre chaussure à la main, la théorie du militaire ne tient plus. - Une jambe.... une jambe qui dépasse, regardez, une autre chaussure. L'adjudant fonce vers son véhicule, un murmure monte de la masse des badauds, mon regard va d'un escarpin à l'autre, j'ai le cœur qui cogne comme jamais. Les gendarmes repoussent les villageois, certains sont partis claironner la nouvelle dans toutes les rues, Jean-François court prévenir sa tante; je commence à prendre des photos, j'aurais bien aimé que Benoît soit là, je tremble comme une feuille en essayant de cadrer au mieux la chaussure émergeant du tas de sable; je mitraille le visage hébété du découvreur, la scène dans son intégralité; que va-t-il se passer maintenant? je vais être incapable de rester lors de la remontée du cadavre; dans quel état est-il? Cette femme je ne l'ai pas connue mais j'en ai tellement entendu parler! car je suis persuadé que c'est bien elle qui gît encore à quatre mètres sous terre, c'est bien elle que des pourris ont supprimée pour des raisons crapuleuses. La dernière partie de l'opération est délicate, nous attendons l'arrivée du capitaine de la gendarmerie ainsi que celle d'une équipe de spécialistes. - Une bonne demi heure avant leur arrivée, alors monsieur Passy, soulagé? si c'est bien elle... enfin si ce n'était pas le cas, une autre énigme en perspective, et pas de précipitation, le suicide est encore plausible. - Elle se jette dans ce puits et va garer sa voiture à Châlons. - La voiture abandonnée dans les parages, les clés présentes, un voleur passe et profite de la situation, nous avons déjà eu de tels cas. Le chef a réponse à tout. Je voulais téléphoner un premier papier, je préfère attendre une confirmation. Un homme passe à côté de nous sans nous saluer, rase le tas de sable pour lequel il n'a pas un regard, file vers les géraniums qui commencent à pâmer au soleil et hausse les épaules. - Ah celui-là et ses fleurs, un vrai fada, il devrait être en retraite, il continue à travailler à mi-temps pour la commune, c’est lui l’inventeur des décorations florales, vous allez voir, il va récupérer les plantes. L'attente se prolonge, tante Simone et Jean-François apportent des rafraîchissements pour les gendarmes et les ouvriers. Le maire s’est écarté du groupe et il est en grande conversation avec quelques hommes.


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