• La fontaine de jouvence

    L'entrepreneur n'est pas à l'heure, Jean-François me montre les travaux qu'il a déjà réalisés et ce qu'il prévoit de faire; tout compte fait, l'ensemble ne manque pas de charme, la grande cheminée de la pièce principale est magnifique, je verrais bien un beau feu de bois, des flammes léchant un sanglier embroché... et Obélix qui lui se lécherait les babines.

    Une fourgonnette arrive et stoppe devant la ferme.

    - Mes excuses, un problème sur un chantier, cela devient une mauvaise habitude en ce moment, allons voir ce mur.

    Je laisse les deux hommes examiner les pierres, je m’assois dehors, sur un banc, face à la margelle d'un ancien puits transformé en jardinière, les géraniums-lierres retombent tout autour, bien jolie cette décoration.

    Un vieux monsieur vient vers moi, un voisin certainement, intrigué par ma présence  et curieux de savoir ce que je fais à cet endroit

    - C'est beau n'est-ce-pas?, de toute façon le puits était à sec depuis une dizaine d'années, c'était plutôt un danger pour les gosses, le trou a été comblé avec des gravats au début de l'année et, au printemps l'horticulteur est venu planter les fleurs, les six puits de Morigny ont été transformés de cette façon.... Mais dites-moi, vous êtes le journaliste de "La Gazette", vous avez parlé de nous, de notre opposition au projet, je me demande si  nous aurons gain de cause, c'est l’éternelle lutte du pot de terre contre le pot de fer, tout  de même, ce village vivait bien tranquille et la zizanie s'installe, j'ai un voisin qui me boude depuis cette affaire, lui est partisan de la mise en bouteilles.

    L’homme s’exprime bien, j’engage la conversation.

    - Que pensez-vous des propriétés de cette eau ?

    - A vrai dire je me demande si elle a réellement des propriétés conservatrices, j’en bois pour faire comme tout le monde ou presque, ce n’est pas que je tienne à faire un centenaire mais je me porte assez bien pour mes quatre vingt deux ans alors...entre nous, toutes ces histoires d’eaux minérales, c’est un bon moyen pour facturer la flotte à un prix exorbitant, les consommateurs n’ont confiance qu’aux produits conditionnés à présent, enfin...

    Je guette la sortie de l'entrepreneur, je ne sais pas encore de quelle manière je vais l'attaquer.

    - Laurent, tu viens boire un jus d'orange?

    - Tu as de la boisson sur place?

    - Et comment, pas besoin de frigo, la cave est bien fraîche.

    Jean-François se débrouille pour me laisser seul avec Luigi, je ne perds pas de temps, quelques banalités pour amorcer la conversation, je lui parle des racines que je viens de  découvrir à Morigny

    - Vous êtes apparenté à la famille Parély?

    - Plus précisément à madame, aux de Gaujard, vous avez connu Alexandre, je crois, 'il chassait dans la même société que vous?

    - Et oui, sacré Alex, un bon gars mais bringueur, il en est mort indirectement d’ailleurs.

    - Et joueur également.

    -...Joueur? ah oui, quelques parties de poker pour le  plaisir, comme nous tous, jamais de grosses mises.

    - Vous en êtes sûr, j'ai entendu dire qu'il avait perdu un gros paquet lors d'une soirée.

    - Qui vous a raconté de telles conneries, même bourré, il savait compter... oh mais attendez, sa sœur m'a parlé des mêmes salades, elle était venue me voir et m'a entretenu d'une histoire similaire.

    - Quand?

    - Au début de l'année, je me souviens, mon frangin était en cure.

    - Elle est disparue le 12 janvier, vous le savez.

    - Je pense bien, sa visite, c'était quelques jours avant.

    - Où l'aviez-vous rencontrée?

    - A notre bureau de chantier, en fait c'est Gino qu'elle voulait voir.

    - Et elle vous a parlé de dette de jeu?

    - Je n'ai pas très bien compris son histoire, mais je lui ai répondu comme à vous, Alex ne jouait que des sommes modestes, du moins avec nous, et j’aurais été surpris d’apprendre qu’il jouait avec d’autres...et puis, ce chameau avait souvent du pot, c'est lui qui nous plumait.

    - Vous avez parlé de cette visite à votre frère?

    - Vaguement, elle était morte quand il est rentré de cure.

    - Disparue, sa mort n'est pas encore prouvée.

    - Vous êtes policier?

    Luigi se cabre, c'était à prévoir, je me présente pour le rassurer. 

    - Et vous en avez parlé à d'autres amis?

    - Oui, je pense, j'en ai peut-être discuté avec les copains.

    Je lui cite quelques noms.

    - Vous connaissez toute l’équipe.

    - Savez-vous si Anne avait contacté d'autres amis d'Alexandre, à part vous?

    - Maurice, le toubib de Courcelles, elle lui avait posé les mêmes questions.

    - Le docteur Ballard?

    - Oui, il était comme moi, il n'avait pas très bien compris le sens de la démarche, les autres, j’ignore, nous n’avons jamais eu l’occasion de parler de ça.

    J'ai la confirmation de ce que je supposais, Anne avait commencé à faire des investigations, doutant du montant exact de la dette, un zéro aurait pu être ajouté,  et, si la somme n'est pas inscrite en lettres? Madame Parély doit absolument récupérer le papier et je vais lui conseiller d'agir immédiatement.

     

    La châtelaine est surprise de me revoir aussi rapidement.

    - Nous avions exigé la restitution de ce document, maître Cochet a toujours éludé nos demandes, arguant qu'il fallait un certain délai avant que la vente soit enregistrée officiellement; je vais le relancer par lettre recommandée sans plus tarder.

     


    Tags Tags : , , , ,
  • Commentaires

    Aucun commentaire pour le moment

    Suivre le flux RSS des commentaires


    Ajouter un commentaire

    Nom / Pseudo :

    E-mail (facultatif) :

    Site Web (facultatif) :

    Commentaire :