• La fontaine de jouvence

    Les gendarmes étaient parvenus à découvrir le responsable du jet de pierre coupable, un gamin de quatorze ans qui fut sévèrement sermonné, son père risquait de payer des dommages et intérêts mais la victime, bon prince, avait retiré sa plainte en apprenant l'âge de son agresseur.

    Un ‘beau geste’ qui ne calmait pas les ardeurs des irréductibles, la crainte d’être privé de l’eau de la fontaine maintenait la pression. Tous ont envie de vivre vieux, malgré les plaintes de beaucoup jugeant la vie impossible.

    J’apprenais que le blessé n'était plus à la clinique des Bouleaux, transféré dans un endroit secret, les derniers communiqués du docteur Marlin parlaient de sérieuses lésions sur un nerf optique.

    Enfin, le maire, Norbert Gallot daignait me recevoir, il a lu mon dernier papier où je modère un peu mon point de vue, j'aurai plus de facilités à évoluer dans le secteur en gardant une attitude neutre, j’avais prévenu mes amis en leur demandant d'être discret.

    - Que cherchez-vous exactement monsieur Passy, à attiser le feu qui règne à Morigny ? vous ne pensez pas qu'il y a assez de violence dans le monde, se battre entre voisins ce n'est pas joli.

    - Qu'appelez-vous voisins, des rapaces qui tentent de mettre le grappin sur un patrimoine jusque là jalousement conservé?

    - Comme vous y allez  il ne faut pas exagérer, ils sont encore une poignée de francs-tireurs, entre nous un peu attardés, vous avez dû vous en rendre compte, à part vos commanditaires je le reconnais, nous savons tout de vos allées et venues dans le village, votre visite à la fontaine, chez la châtelaine.

    - Vous avez de bons informateurs,  je m'en souviendrai à l’occasion.

    - Pour en revenir à cette sacrée source de la discorde, le projet en cours n'a pas encore les agréments désirés,  cela risque de durer encore quelques années avant l'exploitation.

    - Et vous pensez que la domestication de la source va apporter autre chose qu'une  renommée?

    -Une telle opération rapportera un fric fou, la commune bénéficiera de cette manne.

    - Vu sous cet angle, seulement, tout est ramené au seul critère de l'argent, c'est désolant.

    - C'est l'époque, il faut vivre avec son temps.

    - Et vous connaissez les promoteurs, qu'en pensez-vous, ce ne sont pas des charlatans qui veulent commercialiser une eau miraculeuse?

    - Maître Cochet qui est un homme respectable et respecté est chargé de représenter le groupe propriétaire, j'ai eu des contacts également avec monsieur Duflaux qui me semble être le financier, d'ailleurs c'est lui qui a signé les actes d'achats au nom de la société. Ce que je ne comprends pas, c'est que personne ne blâme madame Parély, c'est pourtant bien elle qui a vendu ce terrain, elle pensait avoir fait une bonne affaire, paraît qu'elle a vendu ce tas de cailloux pour cinq briques, et sa fille Anne, s'en est mordu les doigts, elle commençait à faire du cinéma pour empêcher les acheteurs de mettre leur projet à exécution, un peu tard, elle aussi avait vu la bonne affaire au départ.

    Comme me l’avait recommandé madame Parély, je taisais les circonstances de la transaction concernant le terrain, cela pouvait devenir une arme intéressante dans l’avenir. L’affaire me semblait trop bien ficelée pour n’être qu’une opportunité, authentique ou falsifiée la reconnaissance de dette était arrivée à point nommée pour que Duflaux et sa société mettent le grappin sur le terrain convoité.

    - Et cette disparition soudaine et inexpliquée de la fille de madame Parély, vous l'expliquez comment?

    - Tout simplement je suppose qu'elle en avait marre de lutter pour rien, elle  savait sa cause perdue d’avance, elle a préféré en finir avec la vie plutôt que de paraître ridicule, ces gens-là ont un certain orgueil.

    - Et son frère, l'avez-vous connu?

    - Je venais d'être élu maire quand l'accident a eu lieu, nous avions des contacts assez restreints, ce que je peux vous dire c'est qu'il était souvent pris de boisson, d'ailleurs son choc contre un arbre n'a surpris personne.

    - Vous connaissiez ses amis chasseurs?

    - Il ne chassait pas ici, il avait une chasse à  Oréville, vous  voyez le genre, la plus  belle chasse de la région, réservée au gratin, aux nantis.

    Ce monsieur doit avoir quelques comptes à régler avec les notables de la région, ses propos sont presque haineux.

     

    Madame Parély me reçoit à l'intérieur, un orage menace, quelques gouttes commencent à tomber. La pièce où elle m'introduit ne ressemble en rien au reste du décor, c'est un boudoir dont le plafond a été rabaissé, c'est évident, un ensemble salon en cuir de style moderne, un grand meuble supporte des rangées de livres mais aussi un téléviseur, un magnétoscope et une chaîne stéréo.

    - Mon antre, c’est ici que je me replie par mauvais temps, cela arrive trop souvent, j’ai tout sous la main ou presque, dans cette pièce, j’oublie que de grands murs m’entourent, qu’un toit immense m’écrase, surtout les jours d’orage ou de tempête...Vous ne pouvez savoir comme cette grande bâtisse craque et gémit quand le vent souffle fort, c’est atroce, j’entends hurler mes ancêtres et mon mari, Alex rire et Anne pleurer...Dieu merci, il me reste un motif pour rester en vie, une enfant adorable à qui je pense sans cesse, si vous rencontrez Amandine, vous serez séduit...c’est gentil de revenir, seulement, à cause de ce malheureux accident, les villageois n'oseront plus empêcher les autres d'accomplir leur basse besogne, la partie est perdue, c'est bien triste.

    - Parlez-moi un peu des amis de votre fils, à votre avis, qui aurait pu être le bénéficiaire du billet?

    - Anne avait commencé à faire une enquête discrète, si seulement elle m'avait dit où elle en était, je suis persuadée qu'elle approchait du but, c'est pour cette raison qu'elle a été supprimée.

    La châtelaine me donne le noms des chasseurs, ce sont tous des personnes en vue comme l’avais affirmé le maire,  je ne sais pas encore comment je peux articuler une série d'interviews auprès de ces messieurs, de quelle manière je peux les approcher tout en restant dans le cadre de mon job.

    Après quelques éclairs et quelques grognements, finalement l’orage s’éloigne pour faire place à un soleil généreux, je salue la châtelaine, lui promettant de suivre l’affaire.

    …………


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