• La fontaine de jouvence

    Dix jours se sont écoulés depuis ma visite à Morigny, je ne pense plus tellement à cette histoire de fontaine, il faut pourtant que je rende ma réponse, j'ai parlé du village et de son problème au rédacteur en chef, il est comme moi, il pense que c'est un peu couru comme reportage.

    - Si tu n'as plus rien à te mettre sous la plume, éventuellement, parler à nouveau de la disparition de cette dame, ce serait une éventualité, seulement il faudrait un motif valable, tu connais le patron, il suffit que je te donne le feu vert pour qu’il renâcle, attendons son retour, patiente encore quelques jours.

     

     Je me demande si les rebelles de Morigny n'ont pas trouvé un moyen radical pour faire parler d'eux; notre agence locale venait de recevoir un appel de la gendarmerie d'Avigny, des bagarres ont éclatées aux environs du fameux terrain, des géomètres qui effectuaient des relevés ont été refoulés  et, sous les menaces, ont du battre en retraite, riposte classique d'opposants à un projet, ce genre d'affrontement éclate un peu partout en France, seulement ce qui n'aurait du être qu'une guéguerre a tourné au vinaigre, un des arpenteurs aurait reçu une pierre au visage, contusion grave qui a nécessité son transport dans une clinique de la région.

    Jean-François ne me fait pas de reproche, sa tante.... un peu plus et la mère Gaston qui commence  à me déplaire souverainement m'accuse presque d'être responsable des incidents et de l’accident.

    - Les gens sont à cran, la prochaine fois il y aura des morts, pt’être que si vous  aviez parlé d’eux ils auraient été moins violents.

    Je tente d'avoir des nouvelles du lapidé, cette clinique est une véritable forteresse, les infirmières que je sollicite à la sortie sont muettes, je suis bien obligé de  me contenter d'un bulletin de santé émanant du grand patron de l’établissement: état stationnaire, pronostic réservé.

    Les gendarmes d'Avigny n'en savent pas plus sur la santé de l'homme hospitalisé, ils refusent de me donner le nom du blessé, trouvant une bonne excuse, en attendant ils  tournent dans Morigny à la quête de témoignages permettant d’identifier de l'agresseur, difficile, je le conçois, la loi du silence existe encore dans les campagnes.

    - Nous pensons qu'il s'agit d'un jeune, voilà le résultat de la colère des adultes.

    - Cet épisode risque de se reproduire?

    - Nous venons d'interroger plusieurs participants à la manifestation, ce sont des gens simples, en colère, mais honnêtes, cet accident grave leur donne à réfléchir et je serais surpris qu'ils recommencent à animer de telles séances.

    - En somme, grâce à ce jet de pierre, les auteurs du projet vont désormais avoir les coudées franches.

    - C'est notre avis... mais que voulez-vous insinuer ?

    - Difficile de savoir comment se porte le blessé, du moins pour nous, journalistes.

    - Si cela peut vous consoler, c'est aussi ardu pour nous, le docteur Marlin est connu pour sa discrétion mais également pour ses compétences, nous avions envisagé de commettre un médecin afin de procéder à un examen contradictoire, nous n'avons pas eu l'aval de nos supérieurs.

    - Avez-vous enquêté sur la disparition de madame Anne Parély?

    - Vous parlez de mademoiselle Parély? nous avions été informés de sa disparition, nos recherches dans le village n'ont rien donné, les autorités compétentes sur le département de la Marne ont retrouvé son véhicule près de la rivière en crue, le suicide était évident.

    - Les gens d'ici parlent de machination.

    - Si vous écoutez les ragots de ces paysans, vous allez vous égarer.

     

    Me voici comme aspiré par cette affaire, un soupçon d'atavisme probablement et puis la sympathie de Simone, l'amitié de Jean-François que je sens préoccupé non seulement par cette histoire de fontaine mais aussi par un problème plus personnel; il me confie que, depuis leur retour en métropole, son épouse ne cesse de lui faire des reproches et qu'elle envisage d'écourter son séjour à Morigny, laissant son mari ‘patauger dans la fange’.

    Et madame Parély, tellement convaincante qui ne cesse de me seriner que je me dois de faire quelque chose pour ce village étant donné mes origines.

     

    Je n'avais pas prévu un tel succès en signant mes premiers articles, je reçois un courrier de ministre,  les correspondants qui prennent fait et cause pour les rebelles sont les plus nombreux, par contre, quelques uns, des anonymes, évidemment, me traitent de Don Quichotte ou d’utopiste.

    J'avais essayé de rencontrer le maire car lui, d’après les échos, n'avait pas de compliments à m'adresser, élément importé, il se moquait bien de l'attachement d’une partie de ses administrés pour une source à peine claire.

    Merci aux malfrats de me laisser un peu en paix, merci aux automobilistes pour leur  soudaine prudence, je pouvais consacrer du temps à Morigny d’autant plus que le boss est d’accord, depuis son retour de croisière, il semble un peu amorphe, conséquences d’un sérieux coup de tabac essuyé par son rafiot aux larges de côtes Portoricaines. C’est tout de même triste de traiter ainsi de pauvres humains sous prétexte qu’ils ont de l’argent, de les précipiter au milieu des tempêtes, de leur faire prendre des risques insensés.


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